Article le Monde du 24 aout 2016
À quelques mois de l’élection présidentielle, alors que les Français commencent à percevoir les effets pervers de la loi de modernisation de la santé, l’heure est venue de dresser le bilan de l’action de Marisol Touraine. Responsable d’une réforme du système de santé présentée comme un “marqueur de gauche”, ministre inamovible, Marisol Touraine est une pièce maîtresse de la stratégie de François Hollande.(image Jim.fr)
Son action au ministère de la Santé, préparée longtemps avant l’élection du président (voir le rapport de l’ENA 2008 ), aura construit un outil politique marqué par la communication, les falsifications de chiffres et de données, les manipulations.
Pour les Français la note risque d’être salée. Diminution des inégalités sociales en matière de santé, lutte contre les inégalités d’accès aux soins : telles sont les bases jetées par Marisol Touraine pour justifier une réforme qui dès lors prenait un caractère d’urgence sanitaire et sociale.
Qu’en est-il aujourd’hui? La chute de la démographie médicale crée chaque jour de nouveaux territoires où le risque sanitaire est constant pour des populations désormais en rupture d’égalité face au soin. Il s’agit d’un péril majeur pour le pays, et quatre années de “politique Touraine” l’ont aggravé. Feignant d’ignorer les causes profondes du problème, la ministre a multiplié les effets d’annonces : contrats de praticiens territoriaux de médecine générale, multiplication des maisons de santé pluridisciplinaires. Mais on chercherait en vain dans son action le moindre début de résolution de la crise annoncée. On trouve maintenant des déserts médicaux sur tout le territoire : zones rurales et semi rurales, villes moyennes, banlieues difficiles, centre villes onéreux. C’est la preuve de l’échec de la France à composer avec ses médecins. La rupture de confiance n’a jamais été aussi grave. Le pays voit s’effondrer le nombre d’installations en secteur libéral au sortir des facultés. La profession médicale vieillit : l’âge moyen des médecins est de 53 ans, 27 pour cent d’entre eux ont plus de 60 ans. Les expatriations se multiplient alors même que 25 pour cent des inscriptions ordinales concernent des médecins titulaires d’un diplôme étranger.
La catastrophe s’installe et Marisol Touraine, loin de la résoudre, l’aggrave ! Dès 2012, elle brandit son étendard : les “dépassements” d’honoraires, dit-elle. Fidèle à elle-même, elle combat la conséquence du problème sans en rechercher la cause. Elle impose le contrat d’accès au soin, ceci avec le concours de trois syndicats de médecins. Ces derniers voient dans l’opération un moyen de faire bénéficier de dépassements d’honoraires encadrés des médecins qui n’y avaient pas droit, mais ne se rendent pas compte que c’est la porte ouverte à l’installation des complémentaires dans le système. Les contrats responsables qui accompagnent cette réforme sont un cadeau fiscal, financier et politique à un partenaire historique du parti socialiste. L’accord national interprofessionnel validera quant à lui une promesse du candidat Hollande : la mutuelle pour tous. Comme toujours, la communication est belle, superficielle, outrancière et mensongère. Le bilan est terrible. Il est à l’image de ce que l’ufml annonçait dès 2012 (Résiste ! https://www.ufml-syndicat.org/commandez-le-livre.html).
Les Français découvrent les contrats d’assurances low-cost proposés au sein de leurs entreprises, la nécessité de souscrire à une sur-complémentaire pour bénéficier d’un éventail plus large de qualité de soin, et l’augmentation de leur fiscalité ; pendant ce temps, les mutuelles, elles, bénéficient d’un allègement. Ils ne voient pas baisser leurs cotisations. Au contraire, elles augmentent (+ 2.8 % par an), et ils sont moins bien remboursés. La réalité de la pratique n’a absolument pas été prise en compte par le ministère. Les tarifs des actes de chirurgie imposent dans bien des cas des honoraires complémentaires pour sécuriser la pratique et respecter à la fois l’obligation de moyen, et le respect des dernières données acquises de la science. Le brouhaha médiatique de Marisol Touraine se poursuit. Mais suffit-il de crier haut et fort qu’on lutte contre les inégalités sociales et les inégalités d’accès aux soins pour que l’amélioration devienne une réalité ?
Le fait de répéter à longueur de discours le mantra “Parce que je suis de gauche” ne masque-t-il pas une politique contraire aux valeurs du parti de Jaurès ? À quelques mois de la présidentielle, nous vivons un paradoxe : cette ministre, par ses mots, a réussi à se faire la porte-parole de la gauche, alors qu’elle n’est qu’un commis au service d’une certaine finance. Le Tiers Payant Généralisé a dressé contre lui toute la profession ! En effet, les médecins ont compris le vrai but de cette mesure : livrer médecins et patients aux mains des organismes assurantiels devenus les maîtres du jeu. Les réseaux de soin et leurs remboursements différenciés ouvrent à la marchandisation du soin. Développés en optique et en dentaire depuis la loi Le Roux portée par des rapporteurs bardés de conflits d’intérêts, les assureurs complémentaires pèsent de tout leur poids pour y intégrer la médecine.
La loi de modernisation de la santé, l’ANI, et la Loi Le Roux le permettent et la ministre ne s’est jamais formellement opposée à cette éventualité qui ne serait que l’aboutissement de sa politique de désengagement de la Sécurité sociale. Marisol Touraine s’est défendue de tout désengagement en déclarant dans un communiqué récent : “Comme le montrent les comptes de la santé, la prise en charge solidaire est passée de 77,2 % en 2011 à 78 % en 2014.” Elle oublie seulement de préciser que ces chiffres s’expliquent par l’augmentation des patients en affection de longue durée (la population vieillit…), et par le nombre de patients bénéficiant de la CMU après quatre ans de gestion économique du gouvernement Hollande ! Marisol Touraine construit un système de santé hyperadministré et centralisé (art. 1 de la loi de modernisation de la santé) ; dans le même temps, elle en confie la gestion et le rapport économique au secteur privé à force d’aides, de cadeaux fiscaux, de lois, orientés vers ce seul secteur. Tout cela s’effectue dans une opacité entretenue par la ministre, et dont les Français sont les premières victimes ; c’est cette même opacité qu’elle a si bien su permettre en ce qui concerne les comptes des mutuelles…
Le bilan de Marisol Touraine sonne comme sa méthode : c’est la défiance qui prévaut désormais. Jamais ministre ne se sera à ce point éloigné des professions dont il a la charge. Cette défiance est le symbole du gouvernement Hollande qui à force d’erreur, de centralisation et de scandale s’est coupé des Français .
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