Médecin de campagne depuis 2004, je savais en m’installant qu’à l’horizon 2015-2020 la démographie médicale allait dans le mur, donnée qui m’avait été exposée dès 1994 sur les bancs de la Fac. J’exerçais pourtant dans un gros groupe médical pluridisciplinaire, le seul mode d’exercice censé faire venir les jeunes collègues. D’ailleurs en 2007, la candidate Royal avait donné cette solution comme l’alpha/oméga pour résoudre le problème des déserts médicaux. S’en était suivie une multiplication des MSP partout en France sous l’impulsion des mairies, qui n’ont compris que trop tard que ce n’était qu’un mirage, une solution simpliste à un problème compliqué.
Les années ont passé, avec le départ en retraite de beaucoup de mes collègues sur le territoire, non remplacés, des journées qui démarraient à 8h00 pour se terminer entre 21 et 23h selon les épidémies, les urgences etc… En 2015, l’Ordre a lancé une enquête chez les médecins pour identifier des pistes de travail pour améliorer notre exercice. Et bien la seule retenue par le gouvernement Hollande a été la certification : une contrainte humiliante de plus ! C’est là que j’ai adhéré à l’UFML, le seul mouvement qui n’acceptait pas tout et n’importe quoi pour un joli bureau ou un pin’s à l’effigie de la République. Puis il y a eu les attentats qui justifiaient d’après Marisol Touraine notre ministre de l’époque que le tiers payant devait être une mesure d’urgence pour répondre au terrorisme : mes premières manifestations avec l’UFML !
En 2017, le départ en retraite de mes 3 collègues du village (me laissant seul), ne posait problème manifestement qu’à moi. J’ai tenté de construire un projet avec l’aide de la municipalité mais leur réponse a été « chacun ses problèmes, débrouillez vous » : il restait un médecin pour 7000 habitants, donc pas de soucis pour eux… J’avais beau demander aux patients comment je pouvais travailler 48h/24, beaucoup demeuraient hilares à m’imaginer gagner 4 fois plus ma vie. Je suis parti en ville, car la scolarisation dans le secondaire de mes enfants à la campagne était de plus devenue ingérable.
En 2019, j’ai participé aux manifestations contre la réforme des retraites. En 2020, je me suis démené pour fournir tant que je pouvais mes collègues proches en masques FFP2 que j’avais pu récupérer auprès d’une mairie, solidarité entre soignants ! J’ai tenté de gérer la situation de stress énorme généralisée au fur et à mesure des vagues covid, comprendre, expliquer, soigner, remettre de l’ordre dans le chaos.
En 2021, l’UFML est entre-temps devenue un syndicat, j’ai été élu, le seul sur l’Aube. Me voici à découvrir les rouages de nos administrations, l’idée que je m’en faisais était bien justifiée : la réunionite, la langue de bois, la posture politique et les couleuvres à avaler qui vont avec… Mais le temps a fait que j’ai capté certaines incompréhensions mutuelles : les administratifs tentent de créer des choses pour nous aider, tout en gardant le contrôle, car ils n’ont que leur fantasme de nos exercices comme base de travail. Au fur et à mesure des discussions, je m’aperçois qu’il y a une certaine marge de manœuvre, à force de dialogue courtois avec les administratifs, et un énorme travail personnel de contact avec mes collègues pour alimenter mes prises de position (MG, SOS, urgences privées, télémédecine…), ainsi que des recherches sur les différents dispositifs et comment ils sont mis en place ailleurs pour mieux maîtriser les sujets.
Je me suis retrouvé à nous représenter toutes les semaines à une réunion sur la résistance des établissements de santé du département face aux vagues Covid. C’est là que j’ai fait connaissance de mes interlocuteurs. Parallèlement, un projet de CPTS sur Troyes est né, cela me paraissait initialement très nébuleux, et à l’encontre des idées UFMLS. Certains visages (des fondateurs) ont commencé à m’être familiers les mois passants, au gré des rencontres pour d’autres motifs.
Est arrivé le projet du DAC, dont les réunions du soir avec mes collègues élus du Grand Est m’ont permis d’en saisir les contours et l’intérêt. Je me retrouve avec les autres élus de l’Aube (pharmaciens, kinés, SF, IDE) et les responsables de l’ADMR, MAIA, département etc… pour créer cette coordination entre toutes les structures et associations médicales/médico-sociales/sociales, dont l’intérêt est d’avoir un interlocuteur unique : gain de temps et d’efficacité.
S’en est suivi l’arrivée du SAS, extension de la PDSA en journée. Un projet extrêmement ambitieux que je qualifie de surréaliste compte tenu de nos effectifs en chute libre, à la racine de la plupart de nos maux d’aujourd’hui. J’ai entre-temps tissé des liens amicaux avec la plupart des collègues soignants, et je note une convergence de nos points de vue, qui facilite notre travail d’élaboration dont le maître mot restera le volontariat.
Entre-temps, le projet de CPTS mené tambour battant par une société de conseil s’est enlisé, je note le désarroi des fondateurs qui voient leur projet dénaturé, leur échapper, il ne suscite que rejet des rares soignants qui ont manifesté un intérêt. A l’issue d’une réunion DAC, je discute avec un membre du bureau de la CPTS, exposant mon point de vue sur la situation : la nécessité de se réapproprier le projet, d’en faire quelque chose d’utile pour les soignants et pas un maelström d’indicateurs déconnectés de notre réalité pour faire plaisir à nos administratifs. Réjouis par notre convergence d’opinion, je me retrouve invité aux réunions du bureau de la CPTS, et nous sommes tous d’accord pour suivre désormais cette ligne de conduite : notre envie et notre liberté. Mes contacts de l’URPS me donnent pas mal d’idées qui sont bénéfiques à l’équipe. J’ai été surpris ensuite de voir la satisfaction de la CPAM et l’ARS me voyant rejoindre l’équipe CPTS, dont j’ai été par la suite élu président.
Un long cheminement professionnel et syndical, en groupe puis seul, puis en équipe. Cette expérience d’élu, bien que très prenante en journée et soirée, m’a permis de faire connaissance avec différents interlocuteurs, facilitant les échanges et mon organisation dans l’intérêt des patients. J’apprécie de plus en plus de travailler en équipe, tout en exerçant seul (mon expérience en groupe médical m’a laissé un goût amer). J’ai conscience de ce que souhaitent l’ARS et la CPAM pour nos exercices, mais à force de discussions courtoises, les liens se font, la confiance s’installe, et on peut faire bouger les lignes. J’ai la chance dans mon département d’avoir des interlocuteurs constructifs.
Les mois qui viennent vont continuer de m’occuper l’esprit durant mes nuits de ruminations : la chute démographique, le probable retour de l’obligation des gardes, le DAC qui doit être lancé au 1er janvier 2023, le houleux SAS, les réunions animées du CODAMUPS, SOS débordé, l’hôpital qui s’effondre, la CPTS en création, l’évolution de la convention et de nos rémunérations (qui localement tendent à être reconnues comme déconnectées de notre réalité), et les surprises que l’avenir nous réserve…
Un gros investissement personnel pour améliorer les conditions d’exercice de tous.
Dr Alban THIRION
Elu URPS ML Grand Est (Aube)
Président de la CPTS Troyes Champagne Métropole.
La prise en main du système de santé par les administratifs est totale , comme on l’a vu dans la gestion pitoyable et catastrophique de la gestion de l’épidemie qui aura été un des fruits pourri de notre pseudo modèle.
Même si l’UFML avait remporté une victoire écrasante aux UROD. ça ne changerait strictement RIEN tant que l’article 1 de la Moi de Santé existe..
Comme j’ai eu l’honneur de ke répéter cent fois a Jérôme Marry qui s’est d’ailleurs encore plus enfoncé au cours de l’épidemie de Covid-19, la seule issue estsans la rupture conventionnelle avec le système en place..
Se déconventionner massivement pour soigner et laisser soigner ou mourir et laisser mourir
Tel est le problème et depuis longtemps
Il n’y a pas que les fatalités….
Depuis 2006 en Aveyron, les professionnels ont pris le problème en charge avec l’ appui des élus locaux et aussi des administratifs et assureurs au sens large…
Un travail d’ étudiants infirmiers en PA montre que dans l’ Aubrac la densité de professionnels médicaux, y compris médecins, est supérieure à la moyenne nationale…
parfois, quand on veut, on peut.