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« Dans quelques mois on peut avoir un effondrement de l’hôpital » Rémi Salomon (président de la Commission médicale d’établissement de l’APHP) lorsqu’il lance cette alerte, est malheureusement bien en deçà de la réalité. Ce n’est pas l’hôpital qui risque l’effondrement mais bien tout notre système sanitaire.
Cet effondrement a commencé et il n’est pas d’effondrement qui ralentisse.
- Les 3/4 des Français vivent sur des territoires classés en ZIP ou en ZAC (territoires ou les Français sont confrontés au déficit de médecins), 96,5 % de la population d’Ile de France est dans ce cas.
- Les dé plaquages des médecins de ville se font plus nombreux et ceux là ne sont pas remplacés. En cause, l’épuisement, l’augmentation de la demande de soin, le consumérisme, la perte de sens, la violence administrative…
- Les jeunes médecins mettent 10 ans à s’installer,
- 75 % des internes ont des critères d’anxiété,
- 50 % des médecins généralistes ont au moins un critère de burn out,
- les taux de suicide de la profession sont de 2,5 fois ceux de la population générale…
La médecine de ville a été abandonnée depuis des années, pire elle a été sabotée.
J’accuse tous les responsables politiques, gouvernement après gouvernement, de n’avoir rien fait pour elle, rien fait pour les territoires, d’avoir centralisé le soin dans des hopitaux usines inhumains, pendant qu’ils « désaménageaient » les territoires.
Je les accuse :
- d’avoir pratiqué la politique du chien crevé au fil de l’eau, et de s’être lavé les mains des difficultés croissantes qu’ils imposaient à la médecine de ville et aux patients, comptables de leurs incuries.
- d’avoir « chosifié », « pionifié », les médecins libéraux, les imaginant corvéables et déplaçables pour éponger les drames construits par leurs politiques. Je les accuse de mépris quand ils imaginent régler la problématique des déserts médicaux en imposant 6 mois d’exercice dans ces déserts que leur politique a créés
- d’avoir ignoré la médecine de ville, pour se concentrer sur le seul hôpital public, qu’ils n’ont pourtant pas réussi à développer.
- de n’avoir vu la médecine de France que sous l’angle du coût et non de ce qu’elle peut engendrer comme richesse pour la nation.
- d’être responsables et coupables des déserts médicaux, des difficultés d’accès au soin et des inégalités sociales en santé.
- de n’avoir pas de volonté de sauver le système de santé et de préparer pour demain un système inégalitaire, fait d’un NHS like pour les pauvres et d’une médecine privée pour ceux qui en auront les moyens.
- de n’avoir aucune vue, aucune volonté, de poser des rustines sur un pneu réchappé dont l’éclatement menace
- d’absence de courage politique et d’appliquer les seuls modèles anarchiques, augmentant sans cesse la présence administrative contre toute logique alors que nous vivons une crise sanitaire qui a montré de la façon la plus limpide, les limites voire l’inutilité de ces structures, lourdes et couteuses.
- de ne pas connaitre la médecine libérale, de ne pas connaitre cette médecine à laquelle les français accordent leur confiance dans des taux qui devraient imposer son développement et non sa casse organisée (88 % de taux de confiance envers leur médecin libéral, 94 % pour les patients en ALD).
- de masquer leur incompétence par des injonctions, et d’être irresponsables face à l’effondrement.
La médecine de ville relève d’un plan Marshall pour réparer trente ans d’erreurs politiques. La protection du système solidaire passe par une médecine de ville forte au côté d’un hôpital fort. Non, la médecine de ville n’est pas une sous médecine, elle est faite de femmes et d’hommes qui ont choisi ce mode d’exercice, pour éviter les lourdeurs, pour sa réactivité, ses responsabilités, sa liberté d’entreprendre.
Les médecins libéraux ne sont pas des salariés, ils exercent au sein d’un système solidaire où chacun cotise selon ses moyens et perçoit selon ses besoins, pour cela ils passent convention avec l’assurance maladie. Ils ne sont pas, pour autant les employés de l’assurance maladie et, au regard de l’évolution de ce contrat devenu léonin, celui-ci, plus que jamais pourrait être rompu.
Les responsables politiques, enfermés dans leurs certitudes pensent ce Rubicon impossible à franchir, il ne tient pourtant que par un système indigne qui pénalise le patient qui consulte un médecin non conventionné, en le remboursant de l’acte médical sur la base du tarif d’autorité soit 0,61 euros pour une consultation de médecine générale et 1,62 euros pour celle d’un médecin spécialiste. L’assurance maladie a ainsi créé depuis des années, ce que la loi a refusé pour les mutuelles et assurances privées : un réseau de soins fermé où l’assuré est mieux remboursé s’il consulte un médecin sous contrat avec l’assurance pour laquelle il cotise…
Cette barrière que les politiques sans scrupules pensent infranchissable est pourtant de papier et pourrait bien se déchirer tant la demande de soin est supérieure à l’offre, tant l’offre est rare et la demande urgente…
Demain les médecins pourraient, en nombre, tourner le dos à ce qui ressemble de plus en plus à une servitude. La question est : les politiques ne le veulent-ils pas ? Pour être sauvé, le système relève d’une urgence, une seule qui tient en trois mots: l’installation, l’installation, l’installation. L’installation ne doit pas être obligée mais doit être favorisée. L’obligation est l’arme des sots, la facilitation au contraire serait le résultat d’une vraie politique sanitaire, qui tournerait le dos à 30 ans d’erreurs, et qui prendrait comme postulat de travail, la médecine libérale dans toutes ses dimensions. Une politique basée sur la connaissance de la médecine libérale, de ses spécificités, ses apports, ses avantages, et plus important encore, sur la connaissance de celles et ceux qui la font :
- pourquoi ont-ils choisi ce mode d’exercice ?
- qu’amènent-ils à la médecine ?
- quelles sont leurs différences avec leurs consœurs ou confrères hospitaliers ?
Aucune politique sanitaire ne s’est construite sur ces simples bases, et, régime après régime, gouvernement après gouvernement, la médecine de ville a été lue au travers du prisme de l’hôpital public, ce qui a donné cette chronique d’un échec annoncé, échec d’autant plus important que ces politiques successives ont déstabilisé ce même hôpital public.
La santé comme l’accès aux soins et la première préoccupation des Français, elle doit avoir la première place des programmes des candidats à la présidence de la république.
La problématique qui s’ouvre à eux est en fait assez simple: soit ils poursuivent les mesures cosmétiques, usent du même logiciel et poursuivent, en mauvais architectes, la destruction du système sanitaire, soit ils prennent le problème dans toute ses dimensions sanitaires, sociales, économiques, tournent le dos aux certitudes établies, au conformisme, à la facilité, et changent de logiciel pour une réforme systémique qui pose les bases d’un nouveau pacte social où la médecine libérale reprend toute sa place au côté de l’hôpital public. Pour cela il est nécessaire de tout revoir :
- mode de financement de l’assurance maladie.
- rôle et place des organismes assurantiels
- gouvernance du système sanitaire et ouverture de celle-ci aux soignants pour tout ce qui touche à l’organisation du soin et de l’exercice.
- démocratie sanitaire avec une place plus importante et véritablement décisionnelle faite aux représentants des soignants et des patients.
- rémunérations et tarifs des actes des médecins libéraux aujourd’hui indignes d’un pays occidental, sous évalués parce que liés à l’état économique de l’assurance maladie donc à son mode de financement.
Les candidats n’ont pas d’autre choix que celui de sacrifier ou sauver notre système solidaire, sacrifier ou sauver la médecine libérale et l’hôpital public. Les médecins, eux, resteront médecins, quoiqu’il advienne, ici ou ailleurs…
On ne fait pas de médecine sans médecins, oublier cela c’est construire encore et encore, une France sans médecins.
Dr Jérôme Marty 15 Novembre 2021