Monsieur le Président,
Vous déclariez, le 5 janvier au matin sur France Inter, comprendre “les médecins qui disent qu’il ne faut pas que ce soit compliqué. C’est toujours la même chose, il ne faut pas que ce soit compliqué et il ne faut pas qu’on soit remboursé à la Saint-Glinglin. Ils ont parfaitement raison, les médecins, il faut qu’on puisse être capables d’être beaucoup plus simples, beaucoup plus efficaces, mais c’est quand même une avancée” (http://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/tiers-payant-hollande-promet-aux-medecins-de-faire-simple_1637495.html).
Nous voici rassurés … ou pas.
Le projet de loi santé tel qu’accessible dans le dossier législatif de l’Assemblée Nationale (http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl2302.asp) fait apparaître, par rapport au texte diffusé dans l’été, à l’article 18, I, 3° :
« 8° Le cas échéant, les modalités permettant de dispenser l’assuré social de payer directement aux professionnels de santé la part des honoraires prise en charge par les organismes d’assurance maladie complémentaire, lorsqu’un mécanisme de tiers payant est mis en place par ces organismes »
Il s’agira donc pour chacun de vérifier à quelle complémentaire souscrit le patient pour mettre en œuvre un tiers payant laissé à la seule initiative des dites complémentaires.
La simplicité, c’est pas maintenant !
Et cela ouvrira, à nouveau, la porte aux réseaux de soins : car toutes les complémentaires ne pourront développer un tel outil ; restera la possibilité de fusionner, de s’associer ou de sous-traiter le tiers-payant à des plateformes dédiées dont on connaît l’appétence à réclamer des informations protégées pour « étudier les prises en charge des adhérents » ou pour de tels réseaux, n’hésitant pas à « recommander » certains praticiens au détriment de celui librement choisi par le patient.
Au-delà d’arguties techniques, le tiers-payant représente une fragilisation supplémentaire de la trésorerie des structures libérales, laissée au bon vouloir des complémentaires tant en termes de délai que de montant. Une telle emprise sur nos trésoreries ne saurait écarter la menace de pressions de ces organismes sur nos pratiques, nos prescriptions. Nous avons déjà aujourd’hui de tristes exemples de telles pressions des assureurs (obligatoires et complémentaires) avec les indemnités journalières, les prescriptions d’hypocholestérolémiants, de génériques, ou encore des objectifs de développement de la chirurgie ambulatoire uniquement statistiques et déconnectés de la réalité de nos pratiques (aucune considération ni évaluation par exemple du profil d’activité et de patientèle des établissements (cas-mix), confusion entre séjour et acte, …). Nous sommes là sur des objectifs uniquement comptables sans considération des situations cliniques.
Depuis deux ans, les organismes de l’UNOCAM (Union Nationale des Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie) ont été introduits comme partenaires conventionnels lors de la négociation de l’avenant 8. Leur participation de 150 millions afin de revaloriser certains « forfaits » participe à un certain désengagement de la Sécurité sociale dont la part de prise en charge se voit mathématiquement diminuée.
Le projet de loi santé prévoit que les organismes de l’UNOCAM seront invités à participer la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé et de ses objectifs comptables : article 41 du projet de loi (« Il arrête, après concertation avec les caisses locales d’assurance maladie et avec les organismes complémentaires d’assurance maladie, le plan pluriannuel régional de gestion du risque prévu à l’article L. 182-2-1-1 du code de la sécurité sociale » ).
La réforme des décrets responsables plafonne les prises en charge dans ce cadre, mais aucunement l’évolution des cotisations. (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029777871&categorieLien=id).
Nous n’acceptons pas le risque de nous voir asservis de la sorte dans notre indépendance professionnelle, au bon vouloir d’assureurs.
La généralisation du tiers payant intégral serait pratiquée dans la plupart des pays d’Europe ? A relire le rapport IGAS, seuls l’Allemagne, l’Autriche et les Pays Bas mettraient en œuvre un tiers payant INTEGRAL. Pour l’Allemagne, les confrères allemands témoignent de contraintes telles des assureurs que l’Allemagne serait le premier pays en terme d’exode médical d’Europe (le chiffre de 30 % est avancé). MadameTouraine nous cite également l’exemple du NHS anglais, ou de la Suède. Le NHS ne se porte guère mieux : les prises en charge sont également normées, administrées et ne permettent pas de prendre en charge une dialyse au-delà de 80 ans, une prothèse totale de hanche au-delà de 75 ans. La Suède est le modèle de l’étatisation du système de santé : l’Institut Molinari diffusait un rapport faisant état d’une dégradation de la qualité des soins en termes de délai, mais également de qualité, y compris celle ressentie par les patients.
Cette généralisation du Tiers Payant serait la réponse pour un accès aux soins pour tous, selon votre ministre de la santé.
Mais de quoi parlons-nous ? Le rapport de l’IRDES fait état d’un renoncement aux soins pour l’optique et les prothèses dentaires ; le renoncement aux soins MEDICAUX étant avant tout motivé par l’éloignement géographique et les délais, le renoncement pour raison financière ne concernant que 4,8 % des bénéficiaires d’une complémentaire santé (http://www.irdes.fr/presse/2014/le-graphique-du-mois-juillet-renoncement-aux-soins-pour-raisons-financieres-par-type-de-soins-et-selon-la-situation-vis-a-vis-de-la-complementaire-sante-en-2012.html).
La question sera donc l’accès à une complémentaire santé bien plus que les pratiques tarifaires des médecins alors que le reste à charge reste stable depuis plus de 10 ans et l’un des plus faibles, si ce n’est le plus faible d’Europe, dans un pays dont les actes sont les moins chers de l’OCDE, après Malte. Alors que la réforme des contrats responsables plafonne les prises en charge, le président de la Mutualité Française s’exprimait pour annoncer la nécessité d’augmenter, encore, d’au moins 1 % les cotisations en 2015 …
Rappelons-nous que le secteur 2 a été créé en 1981 alors que la représentation nationale actait de l’impossibilité de l’assurance maladie à faire face à l’évolution des coûts de la pratique et qu’il convenait de garantir la pérennité financière de cette activité médicale.
Les contrats responsables, “la mutuelle pour tous” (sauf les étudiants et les retraités notamment), l’avenant 8, la stratégie nationale de santé, la loi santé telle que proposée menacent gravement le secteur libéral de la santé en France. Le tiers payant généralisé et intégral masquera les coûts réels d’une pratique de qualité, supprimera tout repère d’évaluation et de justification de l’évolution des primes d’assurance complémentaire santé, dissimulera le désengagement progressif de la Sécurité sociale déjà bien amorcée.
Monsieur le Président, nous prenons acte de vos engagements ; sachez qu’ils ne sont pas à la hauteur des attentes et des inquiétudes des médecins quant au respect des principes essentiels d’une pratique de qualité que sont l’indépendance dans la décision, la garantie de la confidentialité du colloque singulier, la liberté de choix des patients.
Nous sommes conscients de la situation notamment financière de notre système de soins auquel nous participons quotidiennement dans la confiance renouvelée de nos patients. La solution ne saurait être uniquement administrative et centrale comme le propose ce projet de loi.
Dans une situation de rupture de toute confiance envers le ministère de la santé, de défiance dans les engagements conventionnels non respectés, seul le retrait de ce projet de loi permettra de relancer un dialogue qui se devra être équilibré et respectueux envers tous les intervenants du système de santé, et en particulier les médecins.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à notre dévouement envers nos patients et les Français et à l’expression de notre respectueuse considération.
Docteur Jérôme Marty, Président de l’UFML
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