Reconstruire notre médecine libérale pour le bien commun – Tribune de Jérôme Marty

Médecine libérale bien commun

La France a eu au XXème siècle le meilleur système de soins au monde, grâce à un accès aux soins pour toute la population et une médecine de grande qualité.  La médecine libérale représentait plus de 90% de l’offre de soins de ville et a démontré son adéquation avec une médecine de qualité, accessible à tous.

Il est incontestable que sa complémentarité avec l’exercice salarié du secteur public a été la source de la puissance de notre modèle. Il est tout aussi incontestable que ce modèle connait la crise la plus profonde de son histoire, tous exercices confondus.

Dans la négociation conventionnelle médicale en cours, notre syndicat l’UFML-S assume d’être l’aiguillon d’un changement de cap pour l’exercice libéral par rapport aux dernières conventions, sans quoi l’exercice médical libéral, périra et tout le modèle à la française aussi.

Les faits sont têtus : les dernières conventions nous ont conduits à la crise.

Les dernières conventions ont conduit à la perte de l’indépendance du médecin libéral pour des sacro-saint principes de regroupement dans des maisons de santé, d’interprofessionnalité. Partant du principe que nous étions des êtres irresponsables et incompétents, il fallait nous tenir par le portefeuille.

Les syndicats ont alors accepté que nous soyons subventionné en contrepartie de tarifs déconnectés des réalités économiques. On a gagné la bureaucratie mais aucune des avancées visées car le XXème siècle a montré que l’innovation organisationnelle part du terrain, à condition de lui donner une capacité d’expression.

Les machins techno créés n’ont aucune valeur pour les patients  (quel usager connais sa CPTS ?) et nous font perdre beaucoup de temps médical tant ils sont chronophages. Nous sommes subventionnés contre une valeur de l’acte à 21€ en euros constants (10€ heures hors charges de cabinet) depuis 2017, une honte pour la profession. Aucun artisan n’accepterait de travailler dans nos conditions. Le médecin généraliste a perdu son honneur par ces « déshonoraires » et vit dans un enfer technocratique.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une baisse de 11 000 médecins libéraux installés en 10 ans dont plus de 7000 Généralistes. Le seul effet des dernières conventions est la forte hausse du salariat (+12000), ce qui réjouit ceux qui veulent notre perte.

Cependant, les Français le vivent au quotidien, cette montée en puissance du salariat s’est accompagnée de la même montée en puissance des difficultés d’accès aux soins et des inégalités. La disponibilité des médecins et la productivité des soins est très différente entre les deux modes d’exercice.

Les dernières conventions ont conduit à une évolution des dépenses des Généralistes 2,5 fois plus faible que celle des dépenses totales de soins (1,1% vs 2,5%) depuis 2014. Elles ont fait baisser leurs revenus réels de 2,5% depuis 2017 pour l’immense majorité, qui sont en secteur 1. Cela creuse l’écart avec nos voisins européens comme l’Allemagne où les Généralistes gagnent 77% de plus !

Les faits sont têtus au point que l’installation en libéral est devenue si aventureuse que les nouvelles générations ne franchiront pas le pas sauf si nous changeons la donne.

 

Cette convention doit donner un nouveau cap ou la crise s’aggravera.

 

Le programme de transformation de l‘exercice libéral proposé par l’UFML-S repose sur un trépied de principe : substituer la logique de valeur des actes à celle de volumes, rendre lisible notre modèle économique pour optimiser la gestion de l’argent public, responsabiliser et faire confiance à l’exercice libéral pour répondre aux besoins sanitaires des territoires.

L’absence de reconnaissance de la valeur d’une consultation est la faiblesse à partir de laquelle tout l’édifice de notre exercice s’effondre. Pour faire face à la faiblesse des tarifs, les médecins libéraux sont entrés dans une spirale infernale d’un nombre d’actes toujours plus importants dont la durée ne peut que diminuer, afin de répondre à la demande de soins.

Cette négation de la valeur de la prestation médicale enferme la médecine dans un stakhanovisme délétère pour la santé des médecins, des patients et l’optimisation des ressources.

Notre proposition d’atteindre 50€ au cours de la période conventionnelle s’accompagne d’une transformation de la nature de la consultation qui sera centrée sur la prévention,  sur une approche holistique du patient et sur une optimisation des données grâce au numérique. Ceci n’est possible que si nous sortons de ce stakhanovisme, doublons notre temps de consultation sans mettre en danger notre viabilité économique.

Le coût de cette hausse progressive de la consultation serait pleinement rentable pour l’Assurance maladie . En considérant juste l’impact potentiel d’une prise en charge plus qualitative des patients chroniques et des patients souffrant d’addictions, pour un euro dépensé en revalorisation de l’acte médical, l’Assurance maladie peut en gagner 5 sur le total des dépenses de soins.

Cette rentabilité sera d’autant meilleure que notre modèle économique sera simplifié. Près de deux milliards d’euros (20% des dépenses des généralistes) sont dispersés dans de multiples micmacs techno (CPTS, DAC, APTA…), dont l’impact de la dépense n’est jamais évalué et dont la seule certitude est l’hyper-bureaucratisation engendrée.

Si nous réintégrons cette somme dans la rémunération du soin, la hausse des dépenses liée la revalorisation est autour d’un milliard d’euros sur 5 ans, qui en rapporteront 5 fois plus à l’Assurance maladie.

Enfin, avec cette revalorisation et cette meilleure lisibilité de notre modèle, le rythme des installations augmentera fortement, ce qui comblera les déserts existants. C’est la quantité de médecins installés qui doit résoudre l’équation de la pénurie et non l’épuisement des médecins déjà installés par toujours plus d’actes. Dans un accord gagnant-gagnant, les déserts médicaux seront largement résorbés.

 

L’assurance maladie doit aussi se transformer

 

Pour transformer notre mode d’exercice, il faut que l’assurance maladie soit prête à changer le cap par rapport au passé. Les propos de son directeur général le 30 janvier dans ce média illustrent son conservatisme et son aversion à toute vision nouvelle. Les propos tenus dans cette tribune sont une négation de la notion de dialogue social. Nous le regrettons et attendons du respect et de l’écoute.

Nous souhaitons de vraies négociations, transparentes et sans connivence, entre acteurs responsables et soucieux du bien commun. A ce titre, nous demandons un changement des règles de financement public des syndicats représentatifs. Ce financement doit être déconnecté de la signature de la convention. Des modalités transparentes d’organisation de la négociation avec un accès en amont aux données et un canevas clair des réunions sont à définir.

Enfin, dans cette négociation conventionnelle, l’UFML-S portera avec sagesse, responsabilité et détermination la voie du changement, de la refondation de notre exercice qui s’inscrit dans une refondation de notre système de santé initiée par le Président de la République et portée par le Ministre.

Ne refaisons pas l’erreur du Ségur de l’hôpital dont la doctrine avait été résumée par le Premier Ministre de l’époque dans son discours d’introduction : « on ne change pas de ligne, on accélère » !

Les mêmes causes produiront les mêmes effets en ville qu’à l’hôpital.

 

Dr Jérôme Marty, Médecine Généraliste,

Président de l’UFML Syndicat

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