Lettre ouverte d’un psychiatre ordinaire, à propos de la Loi de Santé votée à l’Assemblée Nationale le 17 novembre prochain :
Poujadisme ou altruisme ? Intox ou désintox ?
Médecin-Psychiatre libéral, conventionné secteur 1, passionnément engagé auprès de mes patients, confronté tous les jours à la douleur psychique et très souvent à la souffrance sociale, je voudrais attirer votre attention sur ce qui me semble être une méprise médiatique actuelle, au mieux, une manipulation politicienne, au pire.
Fils d’ouvrier, né en province, pur produit de l’Ecole de la République, je n’ai pas oublié d’où je viens. En conséquence le mépris du peuple m’est particulièrement insupportable.
Or, depuis un an, la Loi Marisol Touraine est régulièrement qualifiée dans les grands médias de grande avancée sociale du fait de la mise en place du Tiers Payant Généralisé Obligatoire (TPGO) tandis que les médecins libéraux sont eux soupçonnés de “poujadisme”, parce qu’ils défendraient leur pré-carré corporatiste, et de mauvaise foi parce qu’ils tenteraient “l’intox” dans leur communication (cf. Libé.fr). Les journalistes ou animateurs d’émission à grande audience montent aussi répétitivement au créneau pour faire l’apologie de cette loi et faire passer les médecins pour des réactionnaires anti-progressistes, au mieux, ou des nantis intéressés par l’argent, au pire.
Pourtant, comme la plupart de mes confrères, je pratique déjà ce tiers payant aux patients bénéficiant de la Couverture Médicale Universelle ou même dans le cadre d’Affections de Longue Durée, permettant ainsi aux plus démunis de nos concitoyens d’avoir accès aux soins sans avance de frais. Mais actuellement ce Tiers Payant n’est pas généralisé et surtout pas conditionné à ce que prévoit la Loi Marisol Touraine.
En effet, dans ses Articles 25 et 47, cette loi programme la constitution d’un Dossier Médical National Partagé et surtout d’un Système National des Données de Santé, auxquels pourront avoir accès des organismes publics ou privés (lucratifs ou non), moyennant une étude pour justifier cet accès, ou, pire, moyennant une redevance. Si le législateur prévoit bien un clivage entre renseignements personnels et ce Sytème National des Données de Santé, il en prévoit aussi la levée dans des conditions qui restent floues, pour ne pas dire obscures. En d’autres termes, cela consiste en la disparition du secret médical et en la possibilité, in fine, d’accès à ce secret par des organismes privés assurantiels, avec toutes les conséquences que vous pouvez imaginer : hausse des cotisations, entre autres, et donc constitution d’une médecine à multiples vitesses qui excluera les plus faibles et les plus malades. Finalement, derrière le miroir aux alouettes que représente le TPGO, cette loi se révèle profondément antisociale. Pour le percevoir, encore faut-il en lire précisément les 57 articles. Je vous fais grâce de l’ensemble des autres éléments, qui introduisent, par exemple, des conflits d’intérêts au sein du colloque singulier médecin-patient, l’organisme assurantiel devenant l’organisme payeur, assujettissant le médecin à des objectifs de santé publique, parfois bien éloignés des intérêts singuliers d’un patient donné, ou bien encore la perte de la liberté pour un patient de consulter un médecin de son choix du fait de la constitution de réseaux de santé…
Mais quel intérêt pour un gouvernement qui se veut progressiste de promouvoir une loi antisociale, me direz-vous ?
Nous pouvons comprendre aisément que le problème du Budget de la Sécurité Sociale, véritable patate chaude que se passent les gouvernements successifs, quelle que soit leur couleur politique d’apparence, est résolu à partir du moment où nous passons d’un système mutualiste vers un système assurantiel privé, quitte à aller vers une organisation des soins profondément inégalitaire en le masquant, via le TPGO, sous une apparence fallacieusement solidaire. Effectivement, derrière l’apparente gratuité des soins, c’est la trahison de l’esprit du Conseil National de la Résistance et des Ordonnances de 45, symbole de la solidarité nationale, qui se trame : pour paraphraser un de mes confrères “aujourd’hui,les français cotisent en fonction de leurs moyens financiers et sont soignés en fonction de leurs besoins médicaux. Demain, avec cette loi, ils cotiseront en fonction de leurs besoins médicaux et seront soignés en fonction de leurs moyens financiers.”
C’est tout cela que redoutent les médecins libéraux, généralistes et spécialistes, c’est contre tout cela que la majorité d’entre eux manifeste! C’est donc pour défendre les patients et non pas leurs intérêts corporatistes ou financiers que les médecins assument pleinement leur rôle d’alerteurs publics! Ils réclament des états généraux de la santé et pas une loi imposée sans aucune concertation par une ministre obstinée! Oui à une réforme de la santé en France mais non au sacrifice des patients et de la médecine libérale! Les médecins, pour la plupart, sont mus par le besoin intime de réparer l’Autre : c’est pour cela qu’ils se lèvent le matin. Leur vocation serait l’argent ou le pouvoir, ils auraient suivi d’autres études, plus courtes et bien plus rémunératrices : économiques, financières ou politiques !
Le dialogue social existe-t-il encore dans notre pays ? Avons-nous perdu la capacité de discerner où se situe la dignité humaine ? De même que nombre de responsables politiques ou financiers, et aussi syndicaux, ont trouvé indigne qu’un cadre d’Air France voit sa tunique s’envoler sous la colère pourtant légitime de milliers d’employés sur le point d’être laissés pour compte, faudra-t-il encore que d’autres s’émeuvent en voyant tomber de nouvelles chemises ? Où se situe vraiment l’indignité? Nous voyons tous les jours, dans nos cabinets, les conséquences sociales de la vraie indignité. “Le monde médical est peut-être, pour citer deux autres de mes confrères, un des derniers remparts contre la barbarie humaine! Nous ne trahirons pas Hippocrate, pour satisfaire quelques hypocrites!”
Alors, vos médecins sous les banderoles, poujadistes ou altruistes ? Intox ou désintox ?
Docteur David Zambelli, pour la Coordination des médecins généralistes et spécialistes des Hautes-Pyrénées.