Le ton était en parfaite rupture avec le gouvernement précédent, et les représentants de la profession, invités, étaient à la fin de son exposé, globalement satisfaits.
Le plan semblait une réussite, un « big bang » osaient même certains…
Décryptage.
La réforme tient en 54 points dont certains emblématiques qui visent à améliorer l’accès aux soins, la qualité des pratiques et l’organisation du système.
Les médecins généralistes en exercice sont impactés par une surcharge de travail administratif, (30 % du temps de consultation) qui ne cesse de s’alourdir, une pénurie de médecins s’étend sur tout le territoire. Le plan « Ma santé 2022 » propose donc de subventionner des assistants afin d’aider les médecins libéraux en tension, et libérer ainsi du temps de soin.
La création de 4000 postes d’assistants permettrait ainsi de créer par le temps gagné 2000 équivalent temps plein de médecins
L’idée est simple … mais fausse, sur le plan mathématique, difficilement applicable sur le plan professionnel, et symbole d’une incompréhension entre une sphère administrative décisionnaire et une sphère soignante ignorée.
30 % de gain de temps pour 4 000 médecins c’est un gain de 1 333 ETP soit une approximation de 667 médecins, une paille…
Les assistants seront aux 35 h et partagés au sein de cabinets de groupe de médecins (donc de fait non adressés en zones très déficitaires) qui exercent en moyenne 55 heures par semaines.
Leur aide ne sera donc que très fragmentaire pour chaque exercice.
Les assistants ne pourront bénéficier qu’à des médecins qui s’engagent contractuellement à augmenter leur exercice par une augmentation du nombre de patients vus chaque jour. Il est amusant à cet instant de constater que la Tarification à l’Acte à doit être remplacée à l’hôpital car jugée inflationniste en nombres d’actes alors que l’on demande au médecin de ville d’augmenter sa productivité !
Nous avons vu que ces médecins ont un exercice en tension, avec une pénibilité de l’exercice liée à une forte demande entraînée par la pénurie démographique.
Le bénéfice lié à l’aide d’un assistant s’efface donc de fait avec l’engagement à travailler plus encore et faire plus d’actes médicaux… Il est bon de rappeler à cet instant que les tâches administratives et les actes répétitifs ne sont pas, loin s’en faut, les plus épuisants en comparaison de l’acte médical qui impose écoute, analyse, réflexion, proposition et engagement.
Les assistants sont subventionnés par un système qui vise à maintenir les tarifs des médecins généralistes à un niveau incompatible avec la possibilité de salarier un assistant, en un modèle qui reproduit ce qui, année après année, brise nombres d’agriculteurs, mais la répétition d’un modèle en échec ne vaut pas échec pour la technostructure… Selon Nicolas Revel la subvention ne devrait durer qu’un an, le médecin devrait donc salarier sur ses propres fonds cet assistant et pour cela , augmenter encore son activité
Les assistants ne pourront enfin être obtenus que si les médecins du groupe participent à une Communauté Professionnelle de Territoire de Santé.
Le développement de cette nouvelle usine à gaz, est une autre proposition phare de la réforme.
Il s’agit pour les professionnels de s’organiser au sein d’un territoire en lien avec les Agences Régionales de Santé.
L’exercice solitaire devrait disparaître en 2022, foi de Président!
Au-delà des mots, c’est l’image même de l’échec des politiques sanitaires qui transparaît dans cette proposition.
Laisser croire qu’il existe des médecins solitaires tient de la manipulation. Chaque médecin, généraliste et spécialiste, quel que soit son lieu ou son mode d’exercice, exerce en réseau avec d’autres professionnels du soin de ville et d’hôpital. La volonté de créer des communautés professionnelles qui améliore cet exercice en réseau ne peut qu’être bénéfique à condition de ne pas la lier à la sphère administrative. Là encore Emmanuel Macron répète les erreurs passées et coupe les ailes aux Communauté Professionnelles Territoriales de Santé avant qu’elles ne s’envolent par l’imposition de la tutelle administrative et la subordination aux groupements hospitaliers de territoires par le biais du paiement au parcours de soin.
Le paiement au forfait est la pierre angulaire du plan Macron, il est moteur du changement systémique souhaité par le président. Peu l’ont expliqué.
La tarification à l’acte serait gage de non-qualité, engendrerait une augmentation du nombre d’actes, un épuisement des acteurs du soin. Échec de la technostructure, il faut la remplacer par un autre système et cette évidence permet au Président d’utiliser en un glissement sémantique un rapprochement entre tarification à l’acte et paiement à l’acte, coiffant dès lors des mêmes mots le mode de rémunération des médecins libéraux (à qui il demande pourtant d’augmenter leur activité comme nous l’avons vu plus haut).
Le paiement à l’acte est présenté comme inadapté à la médecine moderne qui devient soudain définie par les maladies chroniques que les médecins de ville ne pourraient convenablement prendre en charge. Les pathologies dites aiguës apparaissent reléguées au siècle dernier. . D’ailleurs chacun sait que les patients chroniques sont vaccinés contre les accidents : pas d’incident de vie, d’accident, d’infection, de décompensation, chez ces patients :
«-Mauvaise nouvelle, vous avez une hypertension artérielle ou un diabète. Bonne nouvelle, vous ne ferez jamais ni une péritonite, ni une pneumonie, ni une entorse de cheville ».
L’Agora l’a décidé, la médecine ce n’est plus que la pathologie chronique, sa prise en charge se fait en équipe et son paiement est forfaitisé. Et devant un parterre de représentants syndicaux de la médecine libérale E. Macron déclare : « d’ici à 2022 ce système de tarification plus incitative au parcours et à la qualité des soins sera devenu la composante principale du financement de la ville et de l’hôpital », il exécute le paiement à l’acte et rend la médecine de ville dépendante de l’hôpital, maître de l’enveloppe forfaitaire. La vraie révolution du plan Macron est là : dans le décloisonnement entre les deux médecines, hospitalière et de ville, et le passage d’un système en silos à un système imbriqué.
Comme pour les CPTS, l’élan est brisé par le maintien de la matrice de l’échec : l’imposition étatique, jacobine. La médecine de ville passe sous tutelle de l’hôpital public, le forfait devenant la composante principale du mode de rémunération. Les syndicats n’ont pas compris ; le terrain, lui, commence à comprendre et le forfait demain pourrait être le Tiers Payant d’Agnès Buzyn.
Des points positifs sont à relever, comme la volonté de donner plus de pouvoir décisionnel aux CME dans les établissements de soin, la volonté de ne pas utiliser la coercition face à la problématique des déserts médicaux ou bien sur la suppression du numerus clausus, outil installé avec la complicité de certains syndicats de médecins qui disparaît devant eux ce 18 septembre.
Ces points positifs ne suffisent pas à faire de la réforme Macron le plan sanitaire que les Français étaient en droit d’attendre et d’obtenir.
La réforme Macron ne s’attaque pas aux causes de l’effondrement de notre système sanitaire mais partiellement à ces conséquences. Il n’est qu’à entendre les mots valises des contempteurs tels que : «Il faut replacer le patient au centre du système », couplet habituel de ceux qui n’ont rien d’autre à proposer que des ajustements au modèle techno-politico-administratif pour comprendre qu’elle risque de n’être qu’une réforme de plus.
Une réforme faible d’ambition et de volonté de vraiment réformer, masquée sous la communication. Faible d’actions et de propositions au regard de la dégradation globale du système après des années de seule gestion économique et de seule gouvernance administrative. Faible d’investissement, le desserrement de l’ONDAM de 0,2 points annoncé pour une seule année, ne suffira pas, loin s’en faut, à donner à la France les moyens de ses ambitions en matière sanitaire.
Une réforme confortée cependant par la faiblesse de la représentation professionnelle, triste coquille vide incapable de réaction, devant la déconstruction de l’architecture de la médecine libérale alors que les acteurs de terrain, fragilisés, en ville comme à l’hôpital n’ont jamais connu exercice plus difficile. C’est la chance d’Emmanuel Macron, la somme des faiblesses peut être une force, le calcul politique est là.
Pas de révolution de la confiance par la construction d’une vraie démocratie sanitaire qui amène les patients et les soignants au pilotage du système. La force était pourtant dans le renversement de la gouvernance par la confiance, la cogestion et l’ouverture de la direction sanitaire aux savoirs, dans une révolution systémique, pas dans une réforme impréparée, brouillonne et confuse.
Dr Jérôme Marty Président UFML-S
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