C’est une de ces entreprises, impersonnelle et lisse, bâtiments aux murs vitrés, propres et transparents, open space où tout est vu, salariés et managers ensemble vers un même but… L’image semble belle, parfaite même, et pourtant… Passé le premier regard, la transparence se floute, et une poussière sombre apparait. Cadences, quotas, objectifs, les regards des salariés sont fuyants, l’exercice est contraint, les prénoms et les noms sont remplacés, la violence des comportements des jeunes cadres masque la peur de ne pas atteindre l’objectif… Tout n’est que noirceur et le chiffre remplace l’homme, la dépersonnalisation est totale…derrière elle, la deshumanisation.
Le film “Carole Matthieu” nous lance en pleine face cette réalité. Isabelle Adjani est le Dr Carole Matthieu, médecin généraliste et médecin du travail dans cette entreprise. Elle est l’écoute, la compréhension, l’aide, le conseil. Elle est le dernier rempart contre la noirceur, une fenêtre qui ouvre sur le monde réel, celui qui n’oublie pas l’homme. Sa marge de manœuvre est étroite, soumise aux logiques entrepreneuriales, elle compose avec les règles et maintien la cohésion, elle lutte et s’épuise…
Le contact avec la souffrance est permanent, et l’impact personnel menace, rappelant ce que disait Robert Capa à propos des photos de guerre “Si ta photo n’est pas assez bonne, c’est que tu n’étais pas assez près”, trop loin vous ne voyez rien, trop près vous êtes mort… Le Dr Carole CaMatthieu se rapproche de ses patients, toujours plus près… Tous les soignants, quel que soit leur rôle, leur profession, leur secteur d’activité peuvent se reconnaitre, dans ce film, tour à tour salariés engagés dans une course folle au risque de se perdre, et médecins qui ont fait le choix de ralentir les rouages et d’être lentement à leur tour broyés. Lorsque le Dr Carole Matthieu regarde une mine à ciel ouvert, c’est la réalité de ce monde du travail qu’elle perçoit. Cette poussière, cette noirceur, cette plaie ouverte, creusée par un système qui oublie l’homme. Lorsqu’elle se tient, silhouette fragile au bord de ce trou béant, elle personnifie ce qui reste d’humanité face à la folie …
L’UFML a eu le privilège de voir ce film hier 27 Octobre en présence de Mme Isabelle Adjani, du réalisateur Louis Julien Petit, de la distributrice Mme Rahma Goubar, et d’Alexandre Jardin.
Nous avons relevé de nombreuses similitudes avec nos professions et nous en avons discuté avec Isabelle Adjani et Louis Julien Petit. Ce film est un vecteur, pour mettre en lumière la souffrance au travail, avec une attention particulière sur la propre souffrance de celle qui doit absorber la souffrance des autres. Il renvoie entre autre à l’effondrement de notre système de santé, sa gouvernance bureaucratique et le poids toujours plus grand de l’économie sur le soin.
Soignants, médecins, approprions-nous ce film et participons ensuite aux débats qui seront organisés dans les salles de cinéma partout en France à partir du 07 Décembre. C’est un devoir face à l’absurdité, c’est une nécessité. Nous vous ferons part des lieux de débats autour de la santé.
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