Pendant cette nuit de garde, S., aide-soignante, aura couru de chambre en chambre pour changer des patients incontinents, pour lever malade après malade, pour refaire la literie, assurer leur confort physique et moral par des soins d’hygiène, plongeant les yeux et les mains là où beaucoup n’oseraient plonger les yeux, aura relevé avec M., infirmière, deux patients âgés et confus après une chute de leur hauteur ; avec bienveillance, elle aura calmé l’un, rassuré l’autre, jusqu’à oublier sa fatigue.
En début de nuit, R., directeur d’hôpital, a pensé à cette amélioration économique qu’il pouvait porter en minutant les soins ; avant d’éteindre, il a pris sa décision, ce serait 7 min, pas 9…
Pendant cette nuit de garde, F., médecin, s’est rendu au bloc en urgence pour intervenir sur le réseau coronaire de ce patient pléthorique et fumeur, adressé pour infarctus par son MG devant des douleurs épigastriques et des nausées.
Au début de sa nuit, J., directeur général d’Agence Régionale de Santé, a pensé aux réunions qu’il aurait le lendemain pour discuter de la fermeture de cet hôpital général. A ce pouvoir qu’il peut utiliser sans partage et à cette ministre à qui il doit des comptes.
Pendant cette nuit de garde, E., médecin, a renforcé le traitement antalgique de ce patient mourant, discuté avec ses proches, vécu le désarroi de ses parents, tenté d’apaiser leur douleur.
En tout début de nuit, Mme G., cadre à la Haute Autorité de Santé, fatiguée par ses heures passées à lire des rapports de certification et de notation d’établissements, s’est endormie à 21 h.
Pendant cette nuit de non-garde, R., médecin généraliste, a reçu l’appel de T., la femme d’un de ses patients : il est arrivé sur les lieux en urgence avant la gendarmerie, le mari de T. venant de se suicider par arme à feu. R. a soutenu la famille, médicalement et psychologiquement, il a agi auprès de la gendarmerie, rédigé le certificat de décès, organisé les heures à venir, est resté sur place encore ne pouvant se décider à partir.
Pour débuter sa nuit, Mme X., membre de la commission des affaires sociales a pensé à cette journée demain où elle voterait l’obligation d’installation pour ces médecins, comme il lui a été demandé…
Pendant cette nuit de garde, D., médecin généraliste, a été appelé en urgence auprès de ce patient insuffisant cardiaque en décompensation. Il a débuté les soins, stabilisé le malade, rassuré la famille, organisé le transfert médicalisé, reçu l’équipe médicale du Samu.
En ce début de nuit à l’Assemblée, Mr R., député, a repensé à ses illusions perdueMos de campagne électorale, puis est rentré dans l’hémicycle… pour y tourner la clé, pour y voter, soumis, une loi de plus… Dans quelques minutes il oubliera.
Pendant cette nuit de garde, V., IDE, aura surveillé le traitement de cette patiente entrée la veille après une lourde intervention délabrante, soutenu son regard angoissé, apaisé ses douleurs, parlé avec elle, au cœur de ses insomnies, plusieurs fois malgré une nuit remplie, trop remplie de gestes, d’interventions, de responsabilités.
En début de nuit, O., directeur de caisse primaire d’assurance maladie, a repensé à cette infirmière en pleurs qu’il a pénalisée pour des faits qu’il ne pouvait prouver et s’est endormi…
Pendant cette nuit de garde, G., médecin, s’est levé à 3 heures, une insomnie de plus, il a repensé à sa situation, aux actes réalisés la veille à la chaîne, aux journées de 12 h, à sa femme et ses enfants qu’il ne voit plus qu’entre deux portes, il a pensé aux journées à venir, au départ de ces deux médecins qui lui permettaient d’organiser quelques espaces de liberté, aux charges qui ont provoqué ses difficultés financières, il a pensé à la journée qui s’annonce et une fois de plus, il a pensé en finir…
Au milieu de cette nuit Mme F., haut fonctionnaire, a pensé à son parcours sans faute, Sciences Po, l’ENA, attachée de ce ministre, conseillère de cet autre, elle a réfléchi à cet avenir politique qui lui tend les bras, à ces Français qu’elle ne connaît pas, mais que les logiciels analysent si bien…
Pendant cette nuit de garde, une fois de plus, chacun dans son rôle et sur tout le territoire, les médecins, infirmières, aides-soignantes et autres soignants ont maintenu une lumière, tenu des mains noueuses, entendu des pleurs et des rires d’enfants, croisé des regards uniques arrêtant le temps. Une fois de plus, sans connaître l’autre, ils ont pris soin de l’autre et ont reçu plus encore qu’ils n’ont donné.
En ce début de nuit, Mr T., responsable politique en campagne, a terminé son meeting ; un peu aveuglé par les lumières et les flashs, il n’a pas vu les yeux des gens venus le voir, mais il a parlé, exposé ses idées, son programme… Il a entendu des applaudissements derrière le rideau lumineux et une fois de plus il a pensé qu’ils le choisissaient…
La première des violences est de croire l’autre non comme il est mais comme l’on voudrait qu’il soit. C’est cette violence que nos politiques nous font subir.
Parce que nous ne parlons pas, et que de fait à leurs yeux nous n’existons pas ….
24 / 11 Journée des soignants
UFML soutient la mobilisation des IDE le 8/11