Argument utilisé par certains hommes politiques (Catherine Lemorton alors députée PS et rapporteur de la loi Touraine) ou économistes (tel Fréderic Pierru en duo avec notre consœur Irène Frachon dans cette vidéo de 2016 à 7min face à Jean Luc Mélenchon lors des entretiens programmatiques de la France Insoumise), l’affirmation que les médecins libéraux seraient de faux-libéraux car salariés en fait par la Sécu sur les deniers publics résiste t’elle à l’épreuve du fact-checking ?
Selon le site entreprise.gouv, les professions libérales sont définies par l’article 29 la loi n°2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives:
Les professions libérales groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou d’une déontologie professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant.
On distingue les professions libérales réglementées et non réglementées.
Définition : Une profession libérale réglementée est une profession libérale soumise à un contrôle de la part de l’Etat ou d’un ordre professionnel.
Les médecins libéraux au même titre que les avocats, les architectes, les experts comptables, les vétérinaires sont des professionnels libéraux réglementés et disposant d’un ordre professionnel. Les médecins sont soumis à une obligation de diplôme et à un Code de Déontologie.
L’article 5 du Code de Déontologie Médicale (article R.4127-5 Du Code de Santé Publique) affirme: le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.
Le médecin en échange de ses services perçoit des honoraires payés directement ou indirectement par son patient. Une partie de la rémunération en plus des honoraires perçus est constituée par un certain nombre de forfaits et de primes en rapport avec un système de paiement à la performance. Nous y reviendrons plus tard.
Répondons déjà à la question: cet argent versé au médecin par l’Assurance Maladie est-il de l’ argent public ?
Comme précisé sur le site de l’Assurance Maladie:
Les CPAM sont des organismes de droit privé exerçant une mission de service public. Elles assurent les relations de proximité avec les publics de l’Assurance Maladie.
Les cotisations versées par les assurés sociaux le sont donc à un organisme de droit privé qui remplit une mission de service public. La part des revenus perçus par les médecins de l’Assurance-maladie est donc une part qui correspond à des fonds privés.
On pourrait objecter que cette part de primes et paiement à performance est majoritaire dans les revenus des médecins libéraux, cautionnant ainsi le fait qu’ils seraient de “pseudo-libéraux”.
Que représente le paiement à l acte en terme de proportion dans les revenus du médecin libéral ?
Le site de la Sécurité Sociale donne la réponse:
74% pour le médecin généraliste. Cette part est en diminution depuis 2004 et l’UFML dénonce depuis sa création l’augmentation croissante de ces forfaits et autres systèmes de paiement à la performance qui font du médecin “un chasseur de primes” et qui aboutit à un certain nombre de dérives dans les pays qui les ont adoptés.
L’exemple anglais d’un système de santé nationalisé est particulièrement frappant:
Cette étude de la prestigieuse revue internationale de référence The Lancet met en cause l’intérêt de ce type de mesure pour améliorer la santé publique.
L’amélioration de la mortalité est de 2,21 pour 100 000 pour les maladies cardiaques ischémiques. Pour les cancers, l’impact est également réduit. « Nos résultats montrent que l’introduction du QOF (Quality and outcomes framework) au Royaume-Uni n’a pas produit de changements significatifs dans la mortalité de la population pour les maladies ciblées par le programme », analysent les auteurs.
« Nos recherches soulèvent des interrogations quant à savoir si le paiement à la performance est une méthode viable pour améliorer la santé de la population », ajoute l’étude. « La relation entre les incitations financières et la mortalité doit être évaluée pour des maladies spécifiques », concluent les chercheurs.
Après cette étude, la principale organisation d’usagers du pays, la « Patients Association », a déclaré que « les médecins devaient se concentrer sur tous leurs patients, et pas seulement ceux pour lesquels ils peuvent être payés ».
On comprend ainsi que les médecins libéraux fassent du paiement à l’acte un gage de qualité des soins qu’ils procurent à leurs patients et une condition indispensable au maintien de leur indépendance.
Pour conclure, quelle est la définition d’une profession salariée ?
Le salarié se définit comme une personne physique liée à un employeur par la conclusion d’un contrat de travail et par une relation de subordination permanente. Le salarié dispose légalement ou conventionnellement d’un certain nombre de droits attachés à son statut : information, expression, paiement d’un salaire minimum en fonction de l’emploi occupé, limitation de la durée du travail, etc. Les devoirs qu’il a en contrepartie vis-à-vis de son employeur, et qui consistent essentiellement dans la fourniture d’un travail selon les instructions qui lui sont données, sont fixés par la réglementation, par le contrat de travail et par l’employeur lui-même.
Le médecin libéral, à l’instar des autres soignants libéraux, n’a pas de contrat de travail avec la Sécu, la relation de subordination est contraire à son Code de Déontologie et il ne bénéficie pas des mêmes avantages que la plupart des salariés en terme de couverture sociale:
-une partie de ses cotisations sociales est prise en charge par l’Assurance Maladie (une faible proportion de ses revenus, cf graphique précédent) ce qui constitue un avantage conventionnel en échange de son engagement à pratiquer les honoraires conventionnés qui sont parmi les plus faibles de l’OCDE
-en cas de maladie ou d’incapacité, il se voit opposer un délai de carence de 90 jours,
-il doit s’assurer pour voir son risque d’accidents du travail couvert
-il n’a ni congés payés ni assurance chômage
-jusqu’au mois de novembre, les femmes médecins ne percevaient qu’une faible indemnité en cas de maternité. Cet avantage supplémentaire maternité exclut cependant une partie des femmes travaillant en secteur 2 et les femmes médecin-remplaçantes. Supprimer cette discrimination est un des engagements de l’UFML-S.
En résumé:
-l’indépendance du médecin libéral est le meilleur garant de la qualité des soins prodigués aux patients
-74% des revenus du médecin généraliste proviennent du paiement à l’acte par son patient
-le médecin libéral doit assurer lui même ses congés, ses risque maladie, chômage, accident du travail, invalidité et retraite
-les sommes versées par la Sécu aux médecins libéraux viennent d’organismes de droit privé.
Dr Franck Chaumeil