Les décisions politiques de ces quarante dernières années ont conduit à une véritable catastrophe dans notre système de santé français qui est passé de la première en l’an deux mille à la seizième place au monde aujourd’hui : pénurie de soignants, déserts médicaux, fermeture des services d’accueil d’urgences ou de soins palliatifs, diminution drastique du nombre de lits hospitaliers, scandales dans des centres de soins dentaires ou des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes, non installation des jeunes médecins qui préfèrent s’exiler ou se reconvertir (et beaucoup pour éviter burn-out voire suicide) tant les conditions d’exercice du soin sont devenues déplorables et faillissent à la qualité de la mission.
Lors des négociations conventionnelles actuelles s’éternisant depuis novembre 2023, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, briefée par le Président Macron et le Ministère de l’Economie, ne pense qu’à rajouter contraintes et hausse de la charge de travail des médecins libéraux contre une ridicule revalorisation qui ne compense même pas l’inflation. Les syndicats ne demandent pourtant pas la lune : pour rendre le métier attractif, ils souhaitent simplement reprendre la main sur leurs honoraires en permettant l’accès à des tarifs choisis librement et en renonçant à toutes les primes de rendement sur objectifs de santé imposées par les précédentes conventions contre le respect de tarifs plancher imposés et déconnectés de la réalité. Il ne leur est répondu que par tableaux comptables d’économies à réaliser au sein de leurs prescriptions jugées sans état d’âme comme inutiles ou dispendieuses de la part d’une Caisse qui balaie la qualité des soins d’un revers de diaporama et d’une fin de non négociation. Mais à bien réfléchir, qui a la main sur le contrôle des avis d’arrêts de travail et la décision ou non de payer les indemnités journalières ? Qui fixe le prix des médicaments ? Qui refuse de rembourser des médicaments équivalents sur la base du moins cher ? Qui décide du tarif des ambulanciers qui ont du mal à s’en sortir avec l’explosion du coût des carburants ? Qui revalorise à hauteur de quelques ridicules centimes les actes des infirmières libérales qui courent de patients en patients faire une piqûre à moins de cinq euros ? Qui fait des bénéfices record sur les cotisations aux mutuelles obligatoires imposées aux citoyens par le binôme Hollande et Touraine, en se permettant de les augmenter chaque année et ne les reversant pas à hauteur maximale au remboursement des soins ? Qui compte 80 000 employés quand la plupart des 50 000 généralistes de France peinent à se payer une secrétaire ? De multiples sources d’économies pourraient sans doute compenser un passage à des tarifs décents contre l’énorme service rendu à la population par la médecine de ville…
Les médecins qui exercent leur art au service des patients sont en rejet du fléchage dictatorial et absurde des budgets qui vont à l’encontre de l’accès au soin et de sa qualité, aboutissant aujourd’hui à de réelles pertes de chance pour les patients, ils dénoncent la dévalorisation et les contraintes qui amènent la désaffection du métier et sa perte de sens, avec un surmenage dangereux chez ceux qui l’exercent encore. Le plus beau métier du monde est devenu un repoussoir en France !
Et les exemples ne manquent pas, en particulier chez ceux qui, médecins convertis à la politique en devenant sénateurs, députés ou ministres, renoncent à leurs compétences une fois leur carrière politique derrière eux, et se détournent définitivement de leur vocation première de soigner leurs concitoyens. Un bon nombre de ces politiciens savent trouver une source de revenus plus confortable dans un poste hors du soin. Ces reconversions semblent incongrues et assez regrettables dans un pays qui manque cruellement de médecins, elles dénotent le peu d’intérêt que font ces médecins à la prise en charge médicale pure de concitoyens qui auraient tant besoin de leurs services, si tant est qu’ils aient gardé un pied dans l’exercice médical durant leur carrière politique.
Nous venons d’apprendre qu’Olivier Véran, neurologue de formation devenu ministre de la Santé ayant fait ses tristes armes sous la pandémie en succédant à Agnès Buzyn, se reconvertissait dans la médecine esthétique ! Resté député après avoir quitté son poste de porte-parole du gouvernement, Olivier Véran fait peu de cas aujourd’hui de son métier de neurologue, lui qui se vantait en 2019 de sauvegarder une vacation bimensuelle dans son service de neurologie : « Je ne pourrais pas y renoncer ! » affirmait-il alors…
Il serait intéressant de savoir quelles ont été ses motivations à s’être inscrit à la faculté de Créteil pour se former en esthétique avec l’intention d’exercer à la Clinique des Champs-Élysées une journée par semaine. On peut s’interroger sur ce grand écart entre renoncer à se mettre à la page dans sa propre discipline de neurologie qui aurait beaucoup trop évolué selon lui, et se lancer dans l’apprentissage d’une discipline complètement nouvelle. Peut-on supposer que le choix de sa nouvelle activité serait guidé par l’appât d’un gain plus important que celui d’un poste de neurologue hospitalier ? En effet, l’esthétique, réputée pour être lucrative malgré (ou à cause ?) d’honoraires non pris en charge par la Sécurité Sociale, a le vent en poupe chez de nombreux médecins en France qui se détournent du soin pur trop dévalorisé. Le marché mondial de l’esthétique médicale et chirurgicale connaît une croissance exponentielle avec un taux de progression annuel de 8% sur la période 2018-2023 et devrait être multiplié par trois en dix ans. En 2019, la chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique était en France la spécialité la plus demandée par les internes en médecine…
Cette nouvelle orientation semble peu convenir à l’image d’un ancien ministre d’appartenance socialiste première, censé défendre un système tourné en priorité vers le soin solidaire envers les malades. L’ancien ministre Jérôme Cahuzac en son temps était lui aussi spécialiste dans la greffe de cheveux avant son fabuleux mensonge sur ses comptes suisses, les yeux dans les yeux à l’Assemblée Nationale… Olivier Véran prétend que son image de ministre lui collerait trop à la peau, entachant le lien avec les malades. Serait-il donc amené dans sa nouvelle activité (oserions-nous parler de business ?) à ne plus soigner des malades mais plutôt des consommateurs de soins esthétiques ? A ses dires, il délaisse la neurologie pour les quinze pour cent de la population adulte française qui a recours à la médecine esthétique dont, selon son entretien à l’AFP, un pourcentage très important souffre « d’une « cicatrice sur le visage », d’un « vieillissement accéléré lié à la ménopause » ou d’une « calvitie précoce » ? Pourtant en France, les patients atteints de maladies neurodégénératives et cérébrales sont nombreux et également en grande (plus grande ?) souffrance : environ un million de cas d’Alzheimer, 150 000 de Parkinson, 130 000 d’AVC, 430 000 d’épilepsie, 80 000 de sclérose en plaque, 8000 de maladie de Charcot et 6000 nouveaux cas par an de tumeurs cérébrales, plus de 120 000 traumatismes crâniens et 1000 cas de traumatisme de la moelle épinière chaque année en France… Quelle tristesse de voir un neurologue quitter le bateau du soin quand tant de patients attendent un rendez-vous, et plus encore quand il est censé avoir œuvré pour l’accès au soin pendant ses mandats politiques… En 2022, la France comptait seulement 2980 neurologues contre 1036 docteurs en chirurgie esthétique et réparatrice, ainsi qu’un nombre loin d’être négligeable de généralistes titulaires d’un diplôme de médecine esthétique et anti-âge qui leur permet un substantiel complément de revenus par rapport à la faible rentabilité de leur spécialité…
La reconversion d’autres anciens personnages politiques médecins de profession valident la thèse d’une médecine de soins devenue repoussoir en France. Agnès Buzyn, hématologue pour sa part et nommée ministre de la Santé avant le début de la pandémie, était partie en larmes de l’avenue Duquesne, non pour se consacrer de nouveau aux malades atteints d’hémopathies mais pour briguer la mairie de Paris, remplaçant au pied levé Benjamin Griveaux, le candidat pressenti, emmêlé dans une histoire de vidéos sexuelles peu dignes d’une supposée élite politique…
« Ça a été pour moi un crève-cœur de dévisser ma plaque, témoigne Christian Hutin qui a été député pendant dix ans. J’ai éprouvé un vrai désespoir. Simplement, je ne pouvais plus y arriver financièrement, mon activité de généraliste étant devenue lourdement déficitaire, avec des cotisations que je ne pouvais plus supporter financièrement. De ce point de vue, les hospitaliers sont nettement avantagés par rapport aux libéraux. » Une opinion que ne partagerait donc pas Olivier Véran…
On peut citer d’autres exemples, au hasard : Martine Wonner, psychiatre ancienne directrice du Samu Social est devenue directrice d’un groupe de cliniques privées. Joachim Son-Forget en parallèle de son mandat de député qui a pris fin en 2022 officiait un jour et demi comme radiologue… mais à Lausanne en Suisse ! Marc Delatte, élu député en 2017, avait annoncé continuer à exercer dans l’Aisne sa spécialité de généraliste… seulement une demi-journée par semaine, tout comme la rhumatologue Stéphanie Rist : « Depuis que je suis devenue députée en 2017, je ne travaille plus qu’une demi-journée en consultation à l’hôpital. J’avais envie de rester médecin et cela me permet de rester en contact avec le terrain. » A l’inverse, la pharmacienne Catherine Lemorton, non réélue à son mandat de députée, avait avoué faire une dépression à l’idée de reprendre son poste de pharmacienne à Toulouse, elle s’était recasée dans la réserve sanitaire…
En résumé, après une carrière politique, revenir au soin peut paraître dégradant ou dévalorisant dans une France politicienne qui aujourd’hui ne respecte plus l’exercice du médecin qui soigne, et qui lui dénie les moyens de remplir sa mission. Au-delà de l’exemplarité dont les anciens politiciens médecins ne font pas preuve en se détournant, après leur carrière politique, de leur mission première de soin dans les déserts médicaux créés et entretenus par les décisions comptables hors sol de leur caste actuelle ou passée, on peut clairement montrer, en particulier avec l’exemple d’Olivier Véran, et sans du tout vouloir stigmatiser les médecins qui font de la médecine esthétique, que la médecine de soins est déconsidérée en France. Certes Olivier Véran ne se déconventionne pas, mais il va exercer essentiellement hors nomenclature, donc c’est tout comme : l’ancien ministre veut se créer un espace de liberté d’exercice, sans doute légitime, en embrassant une activité plus lucrative que celle qui rémunère aujourd’hui la vocation de soins solidaires aux citoyens, conditionnée par les contraintes conventionnelles avec la Sécurité Sociale. Ses motivations peuvent inspirer beaucoup de médecins lambda non politiciens qui choisiraient de se déconventionner pour redorer le blason d’une médecine consciencieuse et efficace qui retrouverait, par le biais du secteur 3 ou d’un secteur 2 ouvert, sa valeur et sa nécessaire sérénité pour des soins de qualité.
Docteur Isabelle Luck, vice-présidente UFMLS
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