Au vu de l’avancée des déserts dits « médicaux », de plus en plus de « responsables » politiques évoquent la coercition pour « forcer » les médecins libéraux à s’installer dans lesdits déserts. Leur analyse, basiquement comptable, facile, aboutit à des propositions naïves, voire démagogiques, sinon hypocrites, de législation. Dernière en date, celle de Mahfoud Aomar et Patrick Gendraud, élus de l’Yonne, qui, écrivant au gouvernement, proposent une « modulation à la baisse de la tarification des consultations (…), pertinente et nécessaire ».
Voici pourquoi ceci ne peut aboutir qu’à une impasse de plus :
Un petit rappel : la santé est répartie entre service public et professionnels libéraux. Dans le service public, la santé est assurée par des soignants, agents de l’état, dont le statut normal est d’être salariés de la fonction publique. Le patient se confie à une institution, qui peut déléguer tel ou tel agent, le patient n’ayant pas toujours le choix, ainsi que l’on ne choisit pas non plus les enseignants de ses enfants. En libéral, des soignants proposent des soins à ceux qui souhaitent choisir un praticien en particulier, comme ils choisissent leur coiffeur ou leur garagiste. Le praticien n’est pas salarié de l’état, et comme beaucoup de commerçants et artisans, il est payé pour le travail accompli. Il ne bénéficie pas d’un statut facile : soumis à une protection défaillante (90 jours de carence quand les salariés en ont entre 0 et 3, pas de congés maternité, pas de maladie, d’accident du travail couverts par les caisses obligatoires), il faut être volontaire, optimiste et énergique pour surnager dans un système qui ne lui veut pas de bien.
Il fut un temps où la vertu était d’être compétent, de chercher à l’être de plus en plus, de mettre ses compétences au service des autres. La médecine ne déroge évidemment pas à la règle. Et l’acquisition des compétences est un gros morceau. Dès le tout début des études, il est demandé aux étudiants une quantité dantesque de travail, qui pendant 8 à 13 ans ne diminue pas, pouvant (à mon époque) dépasser les 100 h par semaine au sein de l’hôpital, notamment pendant l’internat .Oui, des jours et des nuits non-stop, où le peu de temps libre servait encore aux lectures recommandées. Pas de loisirs ni de vie sociale hors la blouse blanche. J’ai commencé mes études dans les années 80. A cette époque, la “sécu” commençait à avoir des difficultés à rembourser les soins. Elle ne suivait plus trop le rythme. Les soins, plus fréquents qu’après-guerre sans doute, mais aussi plus techniques, représentant donc naturellement un budget plus conséquent. Le financement de la sécu reposait (et repose toujours) sur une équation valable après-guerre. Entre le budget nécessaire pour assurer un standard de soins et de protection sociale normal à l’époque, et une taxation sur le travail. Cela tenait compte du nombre de productifs et d’ayants droit, des recettes et des dépenses. Mais l’équation s’est déséquilibrée.
R. Barre a trouvé une solution somme toute assez logique pour un économiste. Puisque les cotisations sur le travail ne suffisaient plus à financer le système, il fallait dissocier le montant de remboursement du coût réel des soins. Toutefois, à cette époque, la qualité du travail étant encore, sans doute, une vertu. Les médecins de ville (libéraux) furent autorisés à ajuster les honoraires selon le coût de la vie, connectés au coût des exigences toujours croissantes de qualité et de sécurité, en demandant des honoraires supérieurs au tarif remboursé par la caisse de sécu. Toutefois, cette autorisation (dénommée secteur 2) avait une contrepartie (comme si l’augmentation du coût de la vie et la sophistication croissante de la médecine ne suffisait pas à la justifier, premier dénigrement) : il fallait être plus méritant.
Volontaire pour plus de formation, toujours plus de compétence. En pratique, accepter de faire au minimum 2 ans supplémentaires au sein des hôpitaux après la thèse. Exercer comme médecin ou chirurgien sénior, enseigner aux plus jeunes… De l’expérience en plus, il est vrai, ne peut qu’être bénéfique pour le patient. Ces deux années donnaient le droit au titre ronflant d’ancien assistant des hôpitaux. Et le droit au secteur 2. (Rappelons ici que le secteur 1, c’est l’obligation de travailler au tarif décidé par la sécu, sans supplément, sans augmentation depuis 30 ans, tout en assumant quand même l’obligation non rémunérée (contrairement au salariat) de formation continue, le coût de la vie croissant, la sophistication grandissante).
Ainsi est apparu le secteur 2, au nom très opaque pour les patients (volonté des payeurs de cacher notre mérite?), qui n’avaient plus qu’à cotiser à une assurance complémentaire pour se voir rembourser la part d’honoraires de soins non remboursés par la sécu. La caisse mettait un tarif de base, le même pour tous (principe d’égalité), la complémentaire mettant le reste pour aboutir à un remboursement correct, voire total. Pratiquement tous mes jeunes collègues et moi-même avons donc été “ancien assistant “: quel jeune diplômé accepterait un plan de carrière basé sur toutes ces contraintes du secteur 1, c’est-à-dire une perspective de croissance nulle, et même de décroissance de revenus en euros constant? Jusque-là, la rémunération était, en théorie du moins, le reflet d’un mérite, d’un courage qui s’était exprimé, et travailler était une condition nécessaire et suffisante pour l’obtenir. Cela semblait un deal logique (au premier dénigrement près): je me forme plus et mon mérite supplémentaire sera reconnu. Patients et médecins en tout cas, y gagnaient. L’un avait à faire à un praticien plus formé, l’autre voyait son courage valorisé. Même le plus à gauche des syndicats le crie haut et fort : la reconnaissance sociale passe par la rémunération.
Cela justifie même, dans certains secteurs, des mouvements de contestation annuels, voire des grèves dures. Et parfois, pour ceux qui ont un monopole dans leur secteur, cela aboutit quand même, un peu, à une prise en otage des usagers qui n’ont pas d’alternative (principe qui découle du monopole). Tout ce système de santé libérale a perduré jusqu’à récemment. En effet, les politiciens s’en sont mêlés. La sécu, les assureurs privés les ont suivis. Les médias ont embrayé: On a trouvé les responsables du “trou de la sécu “. Ce sont ceux qui créent les dépenses. Donc les soignants. Et surtout, ceux qu’on ne contrôle pas directement car ils ne sont pas nos salariés, mais ils sont payés à l’acte: les médecins de ville et de cliniques (appelés libéraux). Voilà, les politiciens avaient la solution.
“Il faut que ces nantis payent! “. On a mis en place des organes de coercition, juges et partis, avec pouvoir immédiat de se faire justice par le biais de condamnation de médecins à rembourser des « indus », comprenez : les soins, voire les traitements prescrits aux patients. Oui, vous lisez bien, des médecins sont parfois condamnés à payer le traitement de certains patients, sur des arguments parfois fantasques, et en premier lieu statistiques du « trop soigné »… Harcèlement et dénigrement.
Un peu comme si, dans une grande usine de voitures, on condamnait l’employé à payer une partie des portières qu’il a vissées, au motif qu’elles coûtent cher et qu’il faut faire des économies…
On peut alors imaginer quelques discussions politiques virtuelles mais possibles pour nous diaboliser :
1° « D’abord, ils prennent des dépassement d’honoraires ! (ces nantis) ».
Alors explications: “prendre”, c’est se servir d’autorité, éventuellement même si ça n’est pas juste (exemples selon les âges de la vie: il a pris mon bonbon, mon crayon, mon auto – radio, mon portefeuille, ma femme (?)). Cela connote assez la chose indue, l’absence de justification. Harcèlement et Dénigrement. Les honoraires représentent l’honneur que l’on mérite lorsque l’on a soigné honorablement. Ce n’est pas du vol, nous ne les prenons pas.
Les dépassements d’honoraires sont une fiction. Un non-sens. Une pirouette sémantique pour diaboliser les praticiens. Pratique pour dénigrer. Une voiture peut-elle s’auto dépasser ? Elle a une vitesse donnée qui peut certes augmenter ou diminuer, mais elle roule toujours avec elle-même, sans qu’une partie ne se sépare de l’autre pour aller plus vite que l’autre. Ou c’est qu’elle est cassée et marche moins bien. Donc les honoraires sont ce qu’ils sont. Ils ne se dépassent pas eux-mêmes. Mais ils ne sont pas remboursés en totalité par la sécu. Nuance. Ils ont même globalement diminué si l’on tient compte du coût toujours croissant des normes, des assurances, de la sécurité et de la technicité. On pourrait à ce sujet parler de la fraction des honoraires non remboursée par la caisse. C’est La part dé-remboursée. (Les soignants sont-ils responsables?) Dénigrement.
2° “Ce n’est pas “normal ” que les suppléments d’honoraires augmentent” (politiques, « que choisir » et consorts). Ben si. Les barèmes de remboursement sécu étant globalement inchangés depuis 30 ans, vu l’augmentation du coût de la pratique, le simple alignement des honoraires pour ne pas trop perdre de revenus d’année en année se traduit par une part non remboursée de plus en plus grande. Mathématiques niveau primaire, cours sur les fractions. Mais c’est de notre faute si ça augmente. Dénigrement.
3° « il faudrait que les soignants, et surtout les secteurs 2 (maintenant qu’ils sont diabolisés), rentrent dans le rang (reviennent au secteur 1 ou équivalent enrobé de promesses de politicards). Le peuple verrait qu’on fait quelque chose pour lui »… D’autant que ce peuple gronde: le pays est champion toute catégorie de la taxation, le chômage suit une courbe presque idéale depuis décembre 2013 selon nos décideurs, les impôts sont gelés mais sont basculés sur les collectivités locales et régionales… mais IL FAUT RENDRE DU POUVOIR D’ACHAT, promesse de E. Macron depuis qu’il à été ministre des finances !!!
La boîte à conneries s’est alors ouverte toute grande:
-” on va punir ceux qui sont responsables que ça se voit qu’on rembourse de moins en moins !”
-” et si le patient ne paye plus au moment de la consultation ça ne se verra plus!” -“Oui mais si le patient ne paye plus, les soignants libéraux ne seront plus payés, ça va se voir?”
-“T’as raison, faut être discrets. Le peuple est con mais pas à ce point”.
-“Y’a qu’à mettre en place une usine à gaz que si c’est trop compliqué de s’en servir et que les médecins se trompent pour être rémunérés ce sera de leur faute s’ils perdent et ils n’auront pas à se plaindre. ”
-“C’est bien mais c’est pas suffisant. Certains sont un peu malins et sauront faire marcher le truc. Il faut autre chose!” “Y’a qu’à les dégoûter de se faire rémunérer ? ”
“Qu’est-ce que tu dis ? C’est pas possible?”
“Ben si, imagines, si tu demandes aux assurances privées de les rémunérer directement ? ”
-« Comment? »
-« Tu inventes le 1/3 payant généralisé ! »
“Et puis?”
“Ben, en France ils sont entre cinq et six cents assureurs privés. Ça fait autant de payeurs, de comptabilités à tenir. Et s’ils adoptent le même rythme que l’état pour payer certaines factures, les soignants seront obligés tous les mois de réclamer quelques euros à 600 payeurs. Ça, ça va bien les dégoûter non? Ça leur coûtera plus cher en démarches, en temps, en téléphone, en courrier, que les quelques euros que leur devront chaque assurance. Du coup ils en laisseront tomber une bonne part. !”
-“Tu es super diabolique ! Tu obliges les soignants à travailler à un tarif sécu parmi les plus bas du monde!”
-“Je sais. C’est pour ça que c’est moi le chef et pas toi “.
– “Mais ils vont pas vouloir ? ”
-“On leur dira qu’ils sont méchants de prendre les malades en otage, et que cela peut se faire partout sauf dans la santé “.
-“Mais les malades sont pas otages, puisqu’il y a une alternative à l’hôpital public”.
-“T’as raison, détricotons aussi l’hôpital public. Dégoutons les soignants d’y travailler, la pyramide du pouvoir devrait suffire. Et on va pas rappeler au peuple que le service public c’est la mission de l’état. Comme les libéraux sont naturellement bons, ils y participent de toute façon depuis tellement longtemps, en étant présents jour et nuit, acceptant la taille et la corvée, en raison de la haute idée qu’ils se font de leurs patients. Comme ça les libéraux passeront pour les salauds avec leur secteur 2 qu’il faut payer
directement”.
-« Ouais, faisons leur payer ! Il faut que le peuple les haïsse. Allons plus loin. Ecrasons un tabou : remboursons moins les patients qui consultent un secteur 2 ». (Je rappelle qu’au début de l’histoire, c’est autant)
-« Mais c’est de la discrimination ? »
-« T’inquiète pas, pas si la loi dit le contraire, et la loi c’est nous. Et Comme es soignants c’est des nantis, le peuple ne le verra pas, aveuglé par une promesse d’avantage pour lui de moins payer. »
-« comment ça ? »
-« ben ouais, si le patient ne paie plus le soin en direct, il ne saura plus qui paye quoi. Et il aura l’impression que c’est gratuit ! Et si on ne veut plus payer non plus, on renvoie la patate chaude aux assureurs privés. Eux ils augmenterons leurs cotisations santé le plus opaquement du monde, puisqu’on les dispense de publier leurs comptes ».
-« la publication des comptes des entreprises privées, c’est pas obligatoire ? »
-« si. Mais dis rien, ils nous ont à la bonne, et on a besoin d’eux ».
-« Ah bon ? »
-« Ben oui, le truc c’est de leur donner le marché de la santé, qu’on se débarrasse d’un problème qui plombe nos comptes nationaux. Et pour nous remercier, ils nous gardent quelques places au chaud ».
Ces dialogues sont bien sûr purement imaginaires. En effet, qui peut s’imaginer que des politiques, crème de la pensée et exemples de vertu, s’abaissent à dire et à faire de telles ignominies ?
Dire, je ne sais pas, mais faire, c’est dans la loi santé de Touraine, qui ne semble pas remise en cause depuis la dernière présidentielle. En fin de mandat, une ministre du gouvernement Valls, en poste au moment de défendre la loi santé, aurait rejoint le conseil d’administration de la Mat…, assureur proposant des contrats santé, tout en affirmant que « la Mat… ne faisait pas de contrats-santé »…
Rappelez-vous le problème de l’augmentation des péages d’autoroute, qui a fait la une au printemps 2015 : un service public (des voies de communication), confié à un lobby privé (sociétés autoroutières) dont le tarif augmentait contre tout tact et mesure… le gouvernement à promis de réagir, les a réunis, pour nous annoncer son incapacité à agir, et a pleuré avec nous la main sur un cœur sincère… le même gouvernement à ficelé la santé pour la livrer à d’autres lobbys, assurantiels, connus pour augmenter leurs cotisations plus vite que le coût de la santé…
Derrière le tiers payant généralisé, outre le harcèlement pour le soignant, se cache aussi la médecine low-cost : l’intérêt du payeur (moindres dépenses), étant difficilement compatible avec l’intérêt du patient (meilleur soin possible, et actuellement soutenu juridiquement par une obligation de moyens du praticien vis-à-vis du patient). Le praticien de demain aura un choix cornélien : se plaire’ à lui-même, à sa déontologie et à son patient, continuer à prodiguer des soins top-qualité, ou plaire à son payeur (qui ne sera plus le patient mais l’assureur), et faire une médecine bas coût. Il est clair que c’est celui qui paye l’orchestre qui choisit les morceaux. Laisser payer l’assureur c’est lui permettre de commander les soins.
Le TPG, de généralisé (imposé) sous M., Touraine, il a été un temps facultatif sous A. Buzin, avant rapidement d’être « généralisable » (imposable ?)… Le sens de la formule est décidément une qualité politique…
Harcèlement des soignants libéraux en vue.
Enfin, si la consultation ne se paie plus au comptant, le patient payera à la sortie, en cotisation d’assurance. Quel assureur est en déficit ? Hormis la sécu (publique), quel assureur peut se permettre de payer plus de soins qu’il ne touche de cotisations ? Au contraire, il faudra dégager des bénéfices, qui ne serviront pas à soigner mais, mais à embellir les résultats comptables. Donc le patient paiera de toute façon, plus cher, mais devra accepter le low-cost sans pouvoir rien dire. Belle avancée sociale.
On parle des déserts médicaux, comme lieux abandonnés par les méchants médecins libéraux. Mais l’état a depuis longtemps détricoté le tissu social de nombre de régions. Les libéraux, non fonctionnaires, devraient à eux seuls retricoter la société. Et pour les aider on les harcèle. On les stigmatise, on discrimine les plus formés, secteurs 2. Savez-vous que récemment, on a accordé le congé maternité aux professionnelles de la santé ? Mais pas toutes : certaines sont sans doutes moins méritantes, et l’on exclut les femmes secteurs 2.
Et tout ce qu’on entend, ce sont des mesures encore plus coercitives.
Au motif que l’état a payé les études…
Mais ca ne veut rien dire !! L’état paye globalement pour l’enseignement supérieur d’état (toutes les facultés, mais aussi par exemple l’ENA). Un apprenti de BTS en alternance, donc à mi-temps, qui donc n’a pas encore validé un bac +2, peut gagner 500euros par mois. Sa place est d’apprendre en faisant. Il est dirigé. Moyennent productif, surtout au début du stage. Il regarde, effectue quelques taches faciles. Un externe en médecine a donc la même place sociale. À mi-temps, il regarde, apprend, et effectue des taches faciles. Surtout du secrétariat. En 4è année (il a donc validé bac + 3, contrairement à l’élève de BTS), il a droit à 128,06 € brut/mois pour un mi-temps. 248,41 €/mois en 5è année (bac+4 validé) et 277,50 € / mois en 6è année (l’équivalent d’un master validé). Mais ce sont des nantis ? L’hôpital a eu en attendant eu de la main d’œuvre à bon compte. Toutes ces petites taches qui auraient nécessité, en l’absence des externes, du personnel titulaire, et que l’hôpital n’a pas eu à embaucher…
Les internes sont mieux payés : ils ont validé la sixième année, (le cursus théorique de médecine générale), et sont médecins (pas encore docteurs), en cours d’acquisition d’expérience et de préparation de la thèse de doctorat. Leurs salaires sont aussi ceux de nantis : 1383 €/ mois bruts en 7è année, 1531€/mois en 8è année, 2125 €/mois en 9, 10, 11è année. Oui, certains députés considèrent qu’avec ce salaire, que l’on peut diviser par deux si on veut le ramener à un taux horaire de 35 ou 40 h/ semaine, qu’un chirurgien en fin d’internat est un privilégié qui doit le rendre à la société !!!
Par comparaison, les énarques, au statut de fonctionnaires stagiaires dès la première année sont, dès leur arrivée à l’école, rémunérés 1662 €/mois bruts. Un médecin doit attendre la 9è année pour atteindre ce seuil, l’énarque a terminé son cursus et profite de la vie depuis longtemps. L’ENA et Normale sup, dont sont issus nombre de nos élites, sont tout en haut de la pyramide des coûts (source challenges : Un élève de l’Ena coûte 11 fois plus cher à l’Etat qu’un étudiant à Assas). Mais pour autant, l’on n’a jamais vu d’Énarques repeupler les déserts administratifs en tenant les guichets des CAF ou des petits bureaux de poste de banlieue… pour que l’état ne soit plus vu comme un faiseur de déserts, on colle rapidement le terme « médicaux », afin de pointer dans une autre direction l’attention populaire et donner une cible à abattre, un bouc émissaire. Pourtant, les renoncements de l’état sont partout en campagne… Qui oserait le nier ? C’est possiblement une évolution logique des choses, mais pourquoi les soignants en seraient-ils responsables ?
Les économies réalisées par l’hôpital public, en « utilisant » des stagiaires, externes et internes, à des tâches subalternes de secrétariat ou de petits soins (les stagiaires ne font pas qu’apprendre, ils produisent selon les compétences déjà acquises), limitant le besoin de recrutement d’agents diplômés, payés plus cher, ont été calculées entre 80.000 et 200.000 euros par étudiant sur l’ensemble de son cursus !!! C’est une part de rémunération économisée pour l’hôpital, dont l’étudiant ne voit pas la couleur ! Ne croyez-vous pas qu’il a assez donné au système qui l’a sous-payé ?
On parle de difficulté d’accès des soins, car plus aucun soignant ne souhaite s’installer en secteur 1. Le secteur 2 libéral découragerait les patients, qui n’accepteraient pas de payer pour être soignés. Mais à l’hôpital public, il y a des médecins et des soignants salariés, non libéraux… où sont-ils ?
Faut-il que l’état s’accapare le secteur privé pour assurer la mission de service public ? Pourquoi a t’il failli de son côté? En ce qui me concerne, je ne pensais pas quitter l’hôpital public, mais un management par le mépris et l’humiliation, un pressage absolu m’ont obligé à quitter l’hôpital. Un exemple parmi d’autres : nous étions deux chirurgiens traumatologues en tout pour assurer du 24/7. On faisait donc 5 jours par semaine, plus 1 nuit / 2 et un weekend end / 2 !! Comptez les heures !! Pas de jour de repos, juste les congés, octroyés la veille (le 30 juin pour le 1er juillet). Et bien l’administration me convoque pour me dire que l’hôpital est en déficit, que les chiffres sont mauvais, qu’il faut donc que l’on travaille plus… que nous « sommes là pour pisser du point ISA » sous-entendu, bossez plus et m’emmerdez pas avec vos horaires chargés… la réponse du directeur est limpide sur la plan comptable : trop de dépenses, j’ordonne plus de recettes ! Il y aurait d’autres solutions, mais qui manifestement ne me regardaient pas… Le burn-out étant tout près, j’ai dû ma survie à l’exil dans un autre monde, libéral… encore libre à l’époque, mais pour combien de temps ?
Le relais en masse du doc-bashing depuis des années par les médias fonctionne à plein. Les libéraux sont des méchants, coupables de vouloir vivre dignement de leur travail, les secteurs 2 sont les plus ignobles. A tel point que de plus en plus de patients, gavés à cette démagogie, deviennent indécemment insistants, agressifs, voire brutaux. L’actualité dans les urgences ou les cabinets de ville le confirme hélas, avec de plus en plus de soignants blessés physiquement.
Le burn-out a atteint des sommets, avec deux à trois fois plus de suicides chez les soignants que dans la population générale.
Nous en sommes tous à réfléchir comment finir une carrière dignement sans en finir au sens propre. Exil ? Retraite anticipée ? Réorientation ? Et vous voudriez que dans ce contexte, où l’on nous déshabille de notre honorabilité, où l’on nous harcèle, où l’on nous discrimine, que l’on soit assez optimistes et insouciants pour repeupler les déserts d’état ?
Vous, gérants du pays, avez détricoté, depuis au moins 30 ans, le pacte social avec vos soignants. Mais vous cherchez encore la cause de la fracture sociale. Vous pleurez vos déserts médicaux, et ne songez, pour y remédier, qu’à un peu plus de coercition. Vous parlez même de diminuer encore notre rémunération, alors que vous savez pertinemment que la médecine Française (et aussi les soins paramédicaux), tout en étant parmi les meilleurs du monde, sont déjà parmi les moins rémunérés du monde !!! Voyez les figures 1 et 2 en fin de lettre sur les tarifs des soins de par le monde… Ce sont des chiffres des assureurs eux-mêmes, qui ne cherchent pas à nous avantager pourtant.
Messieurs- Dames les politiques, qu’avez-vous fait du pacte républicain ?
Liberté : nous n’avons plus que celle de travailler plus pour moins de reconnaissance et plus de harcèlement et de mépris de votre part.
Égalité : en santé c’est la discrimination des soignants qui prévaut, aux dépends des patients que l’on rembourse de moins en moins.
Fraternité : de plus en plus agressés de tous bords, par les politiques, les médias, des patients de plus en plus égoïstes et consommateurs, encouragés par le med-bashing ambiant, nous sommes au bord de la rupture.
Mais vous avez tout compris et je ne suis qu’un imbécile. C’est vrai que si j’étais plus malin, j’aurais été politicien. Cela m’aurait autorisé à dénigrer les autres sans devoir faire preuve de vertu moi-même, et m’aurais permis de parler comme celui qui sait tout sur tout, sans avoir trop mouillé le maillot …
Merci pour ce bilan.
Continuez à nous accuser aveuglément de vos errances politiques.
N’oubliez pas une chose: le chien qui mord la main qui le nourrit n’a plus à manger.
Vous voulez encore des soignants engagés dans 10 ans ? Arrêtez de les mordre…
Ou vous serez un peu plus les vrais responsables des déserts que vous dénoncez…
Qui cherche une médecine qui ne coûte rien trouvera une médecine qui ne vaut rien !!!
À bon entendeur…
Dr Emmanuel Camus
Fig. 1 : Comparaison des tarifs de consultations, constatés par les assureurs. Un médecin Thailandais mérite pratiquement le double d’un médecin Français, un médecin Chinois le triple… la médecine Française est-elle si peu méritante ?
Fig. 2 : Coût moyen de la santé dans le monde constaté par les assureurs. La France (en bleu) est tout en bas du tableau. Juste devant une petite partie des pays en voie de développement. Mais une grosse part de ces pays est même devant la France
Tags: #FoutezNousLaPaix #LaissezNousSoigner coercition compléments d'honoraires Déserts médicaux études de médecine externes Internes Loi de santé Marisol Touraine Réseaux de soins Secteur 2 Syndicats de médecins Tiers payant généralisé UFML Syndicat
soignons les politiques comme ils nous traitent….
ça fera de la place..