Comme bon nombre de professionnels de santé, je ne retrouve pas dans vos programmes d’éléments capables de tisser un lien de confiance.
Confiance, voilà le maître mot.
Notre système sanitaire après plus de trente ans de gouvernance administrative vit une crise endémique.
Le secteur public avec 30 % de postes vacants de praticiens hospitaliers, une espérance de vie professionnelle de 8 ans pour ses infirmières (15 ans il y a 20 ans), un nombre toujours plus important de praticiens à diplômes étrangers, en particulier au sein des hôpitaux périphériques, vit une déstructuration des équipes et un taux d’absentéisme toujours plus important (20 à 30 % pour certaines structures).
Le secteur privé avec 30 % des établissements privés, souffre de grandes difficultés économiques, soumis à des fonds de pensions et groupes financiers qui représentent 50 % du secteur dont les objectifs sont souvent en contradiction ou pour le moins éloignés de ceux des soignants et qui ne garantissent aucune solidité au système.
La médecine de ville, avec une extension des zones en voie de désertification à tout le territoire (Paris a perdu 30 % de ses médecins généralistes entre 2007 et 2014, 66 % des médecins généralistes de Toulouse sont à moins de 10 ans de la retraite alors que moins de 9 % ont moins de 40 ans selon les données démographiques du conseil de l’Ordre). Moins de 9 % des jeunes médecins s’installent en secteur libéral au sortir de la faculté.
Il faut 10 ans en moyenne pour une installation, avec des tarifs déconnectés de la réalité des pratiques, du rôle et des responsabilités, qui n’ont pas suivi le coût de la vie, sources de difficultés d’exercice face à des charges toujours plus importantes et 40 à 50 % de médecins généralistes sont soumis ou à risque de burn out.
Ces chiffres, vous les connaissez, pourtant, vos programmes santé montrent trop souvent que vous n’en avez pas pris la mesure. Nous assistons à un florilège d’éléments de langage et de propositions que nous percevons comme autant de fuites devant la réalité de l’urgence à réformer.
Les Maisons de Santé Pluridisciplinaires ne sont pas, loin s’en faut, le seul modèle d’exercice, mais surtout ne sont qu’une solution partielle, les médecins n’ayant pas de problèmes d’immobilier mais un problème de viabilité économique de leur exercice, ce qui explique le nombre de structures coûteuses désespérément vides.
L’augmentation du numérus clausus est une fausse solution, dont les effets ne seront ressentis que dans 18 ans (8 ans de formation, 10 ans pour s’installer) et qui doit être pondérée par les besoins régionaux en spécialités et la capacité de formation. • La médecine préventive, certes, doit être développée, mais ce développement ne peut se concevoir avec faible hausse de l’ONDAM. En effet, une politique de prévention met des années à produire des résultats et le coût de la médecine curative s’ajoute à celui de la médecine préventive durant celle-ci. Même un ONDAM à 2.3 ne saurait absorber le coût d’une réelle politique de prévention. • La création d’un corps de médecins salariés apparait être fantasmagorique, au regard tant de la différence de productivité entre un médecin libéral et un médecin salarié sous encadrement horaire, que de la réalité des fermetures de nombreux centres de santé par défaut de rentabilité.
Ces travers, les professionnels de santé les connaissent et l’expression de ces quatre solutions “en tête de gondoles” ne crée en rien la confiance… Disons les choses, vous êtes tous responsables de la dégradation de notre système sanitaire.
Aux responsabilités vous avez livré la santé au seul pouvoir administratif et financier, dans l’opposition vous n’avez rien fait pour le dénoncer.
Vous avez organisé la pénurie, vous l’avez gérée, vous continuez !
Vous manquez de courage, je vous connais bien, depuis plus de 15 ans je vous rencontre, vous n’avez en fait que peu de confiance au monde extérieur et par faiblesse, ou facilité, vous prenez vos conseils au sein des sphères d’influence d’une technostructure, qui elle-même s’appuie sur des experts toujours plus éloignés de la réalité du terrain. Vous avez construit ou accepté une gouvernance qui vous ressemble, une gouvernance ” de la maison” étatique, administrative, aux ordres…
Du courage.
Seule une révolution de la gouvernance du système sanitaire avec la participation des représentants des soignants et des patients aux côtés de l’administration pourra stopper l’effondrement. La confiance se gagne par la main tendue et le partenariat. La santé est complexe et trop sérieuse pour être laissée au seul pouvoir politique. Au courage de la confiance doit s’ajouter celui de l’humilité. Vous n’avez pas les solutions ! Elles ne viendront que d’un travail commun au sein d’Etat Généraux de la santé, pilotés par ceux qui font le soin et ceux qui vivent le soin.
“Nous allons construire avec vous, vous allez construire avec nous”, là est le courage politique.
Vous n’avez pas idée de ce que vivent les soignants, de ce que sont les soignants. Vous ne parlez que peu des infirmières et des aides-soignantes, socle de notre système de santé, et les autres professions du soin sont absentes de vos discours. Je ne doute pas de votre volonté d’améliorer la situation économique de la France, mais j’enrage de ne voir aucun de vous s’engager à lier cette amélioration à celle des rémunérations de ces professions à la hauteur de leurs rôles et responsabilités. Vous n’avez pas saisi l’architecture du système que vous avez construit, véritable “pyramide inversée” où la majorité des médecins installés sont vieillissants et où une minorité représente l’avenir… Qui construira l’avenir de la médecine ? Les jeunes. Ils ne sont pourtant intégrés dans aucune structure décisionnaire et quand ils le sont, ils n’ont que des voix consultatives. Ayez le courage de croire en l’avenir ! Les médecins en formation doivent être intégrés dans toutes les sphères décisionnelles et doivent pouvoir confronter leurs idées à celles de leurs aînés, laissez naitre une richesse intellectuelle et une logique de construction. Vous n’avez pas compris le changement du monde, et vous n’avez pas su préparer la France aux nouveaux enjeux technologiques. Vous parlez de progrès médicaux en parlant de télé médecine ou de télé consultation, modes d’exercice ralentis par vos absences de décisions de financement ou vos silences , que vous portez aujourd’hui comme autant d’étendards pour masquer votre incapacité à prévoir. Le progrès, le choc culturel, économique, technologique, sanitaire, éthique s’appelle NBIC (nanotechnologie, biotechnologies, informatique, sciences cognitives) ou encore médecine algorithmique. La France doit être leader, non dans la mise en œuvre de ces technologies (notre retard est considérable par rapport aux pays asiatiques et aux États-Unis, la politique et ses conséquences…) mais dans la capacité à préparer ses futurs médecins dans l’utilisation de ces technologies. Faites entrer ces technologies dans les facultés, ouvrez l’enseignement aux chercheurs du milieu, et construisez un enseignement qui aborde à la fois les conséquences sanitaires, économiques, politiques et éthiques de cette nouvelle médecine, et permettez aux médecins français d’en être “maîtres ” et non “outils”.
Ayez le courage de permettre la médecine de demain ! Ayez le courage de porter haut, le rôle de la France. Montrez une capacité à prévoir l’avenir et l’idée de grandeur de la France en exprimant la création d’un conseil éthique international, ouvert vers une réflexion sur la création d’un droit d’ingérence éthique international (sorte de casque bleu de l’éthique) afin de minorer les risques d’exploitation de ces technologies à des fins non médicales.
Vous n’avez pas saisi le risque d’atteinte au secret médical, et vos données de santé comme celles de vos compatriotes pourront demain être livrées à d’autres intérêts que le soin.
Ayez le courage du temps. Demandez un moratoire de 1 an, visant à garantir l’inviolabilité des données avant leur utilisation par des structures autres que celles des soignants. Faites confiance, faites-nous confiance, nous portons le soin, nous étions là avant vous, serons-nous là demain? Ne vous trompez pas, tout se décide maintenant, et vous serez comptable devant les Français de vos décisions. Nous ne porterons plus vos fuites, nous n’accepterons pas la responsabilité de vos échecs…
Recevez, madame, monsieur le candidat.à l’expression de nos attentes.
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