Justification et règles des dépassements d’honoraires que nous préférerons appeler « compléments d’honoraires » ou « honoraires » tout court, au sens de la valeur que nous estimons devoir être honorés pour notre travail.
La solvabilisation du patient (sécu + mutuelle + reste à charge) étant une décision politico- sociale qui n’a rien à voir avec la valeur de nos actes.
Historique de la création du secteur 2 :
Le système de protection sociale mis en place par l’ordonnance du 19 octobre 1945 repose sur un triptyque original d’acteurs : l’assurance maladie, le financeur de soins prodigués au patient par un prestataire extérieur ; et le médecin.
Ce système de financement collectif a toutefois dû se concilier avec le caractère libéral de la médecine en France.
La charte syndicale de la médecine libérale de Novembre 1927, énonce 5 principes fondateurs ;
- Le libre choix du médecin par le patient
- Le paiement de l’acte médical par le patient
- La libre entente du prix entre le médecin et le patient
- Le respect absolu du secret médical
- La liberté totale de prescription
Il existe donc dès l’origine une contradiction entre la liberté accordée aux praticiens et le financement par la solidarité nationale, la difficulté étant de trouver un équilibre entre cette liberté accordée aux médecins, la viabilité du système qui se veut solidaire, et la volonté légitime d’assurer l’égal accès aux soins de tous.
Dans les années 60, la volonté de réguler le système semble l’emporter. Le décret du 12 Mai 1960 fixe ainsi un plafond pour les tarifs médicaux tandis la loi du 3 Février 1971 pose le principe des conventions médicales nationales et des négociations régulières entre les syndicats médicaux représentatifs et les caisses d’assurance maladie.
Dès cette époque est créé le tarif opposable considéré par certain comme un plafond, par d’autres comme un seuil minimum garantissant un revenu.
L’arrêté du 5 Juin 1980 portant approbation de la convention, conclu le 29 mai 1980, instaure deux secteurs conventionnels ; le secteur 1, dans lequel les praticiens s’engagent à respecter les tarifs conventionnels et le secteur 2, où les médecins fixent librement leurs honoraires, dans le respect de la notion de tact et mesure (article 53 du code de déontologie médicale, codifié à l’article R 4127-53 du CSP) . Le gouvernement de Raymond Barre et son ministre de la santé Jacques Barrot, avec l’assentiment de la CNAMTS, réintroduisent donc la liberté tarifaire sous la forme d’un secteur dit à « honoraires différents », connu donc sous le nom de secteur 2 (S2).
Les pouvoirs publics, confrontés aux revendications de hausse tarifaire des médecins, espèrent par ce biais réduire la vigueur des revendications. Certains médecins pourront augmenter leurs tarifs sans conséquence pour les comptes de l’assurance maladie. Par la même cette liberté permet au gouvernement d’éviter d’avoir à réévaluer régulièrement les tarifs des prestations médicales en fonction de l’inflation et de l’élévation du coût de la vie.
Lorsqu’un médecin adhère au S2, il ne bénéficie plus de la prise en charge des cotisations sociales par l’assurance maladie, prise en charge réservée au secteur1 (S1). La possibilité d’adhérer au S2 est ouverte tous les 2 ans ; le nombre de médecins du S2 progresse donc constamment au cours des années 80.
En 1989, la part des généralistes en S2 ou DP s’élève à 16% et celle des spécialistes à 44 %.
En 1989, Claude Evin, ministre de la santé du gouvernement Rocard, exige des caisses de sécurité sociale et des syndicats médicaux qu’ils s’accordent sur des mesures susceptibles de garantir le niveau de remboursement des assurés.
La convention médicale de 1990 prévoit le « gel » du secteur 2 ; les médecins qui avaient déjà adhéré au S2 continuent à bénéficier de la liberté tarifaire ; seuls les anciens chefs de clinique et anciens assistants des hôpitaux peuvent, lors de leur première installation, opter pour le S2. Les médecins généralistes ne peuvent plus adhérer au S2.
A partir de 2000, pour garantir l’accès aux soins aux plus modestes, la loi relative à la couverture maladie universelle (CMU) contraint les médecins de S2 à respecter les tarifs opposables pour les soins délivrés aux bénéficiaires de la CMUc.
L’Aide au paiement d’une Complémentaire Santé (ACS) est mise en place au 1er janvier 2005, en vertu de la loi du 13 août 2004. Ce dispositif a pour but d’inciter les personnes dont les revenus se situent juste au-dessus du plafond de la CMU-C à souscrire une complémentaire santé. L’ACS sera fusionné avec la CMU c au 1/11/19.
L’arrêté du 21 Mars 2012, publié au journal officiel (JO) le 22 Mars 2012, officialise la création d’un dispositif réservé aux chirurgiens, anesthésistes et gynéco – obstétriciens qui leur permet une prise en charge des cotisations sociales dès lors qu’ils s’engagent à limiter leurs taux de dépassements à 50% et à pratiquer au moins 30% d’actes à tarifs opposables. Ces dépassements régulés doivent être intégralement pris en charge par les organismes complémentaires d’assurance maladie. Ce dispositif n’est ouvert qu’aux médecins de S2. Ce dispositif sera abrogé par l’article 49 de la LFSS pour 2013.
En octobre 2012, l’avenant n°8 de la convention comporte trois dispositions principales ; un dispositif de régulation des dépassements excessifs, la garantie des tarifs opposables pour les bénéficiaires de l’aide pour une complémentaire santé (ACS), et un dispositif censé réguler la progression des dépassements : le contrat d’accès aux soins. L’avenant 8 se borne à spécifier que le taux de dépassement à 150 % du tarif opposable pourra servir de repère, taux qui sera « adapté » pour les départements de Paris, des hauts de Seine et du Rhône. Les sanctions éventuelles à l’encontre des forts « dépasseurs » ne peuvent être prononcées que par le directeur de la caisse primaire faisant intervenir la commission paritaire régionale, ouvrant une possibilité de recours devant la commission paritaire nationale.
L’avenant 8 crée également le contrat d’accès aux soins (CAS), dispositif censé réguler la progression du taux de dépassement ; le médecin de S2 qui y adhère, devait avoir un taux de dépassement inférieur à 100% du tarif de base fixé par l’assurance maladie ; il s’engageait à maintenir sa pratique tarifaire et sa part d’actes à tarifs opposables ainsi qu’à ne pas augmenter son taux de dépassement par rapport à l’année précédente. En contrepartie, il bénéficiait de la prise en charge des cotisations sociales pour les actes réalisés à tarif opposable. Le médecin de S2 pouvait également facturer certaines majorations d’honoraires réservées jusqu’alors aux médecins de S1, permettant à son patient d’être mieux remboursé par l’assurance maladie, même à pratique tarifaire constante. Ces dispositions entraient en vigueur fin 2013. Il était possible de sortir de ce contrat à l’issue de chaque année civile. Ce CAS était également accessible aux médecins de S1 déjà installés et disposant des titres permettant d’accéder au S2 lors de leur première installation mais n’y avaient pas adhéré avant 1990.
Les articles L.162-1-14 et L.162-1-14-1 du code de la sécurité sociale prévoient des sanctions pour les médecins ne respectant pas la règle du « tact et de la mesure » concernant les compléments d’honoraires.
Un décret de Novembre 2014 sur les contrats responsables fournis par les mutuelles (OCAM) prévoit que les taux de prise en charge des dépassements seront limités à un plafond de 125% du tarif opposable en 2015-2016, puis à 100% au-delà. Ces contrats responsables étant soumis à une taxe de 7% contre 14% pour les contrats non responsables, il y a donc une forte incitation à se soumettre aux exigences qui permettent de qualifier un contrat de « responsable » .
Entre 2016 et 2017, la mutuelle dite « responsable » pouvait vous rembourser :
- 51 euros pour un généraliste
- 56 euros pour un spécialiste
- 89 euros pour un psychiatre
- 110 euros pour un cardiologue
A partir de 2017, ces montants ont été réduits :
- 46 euros pour un généraliste
- 50 euros pour un spécialiste
- 79 euros pour un psychiatre
- 98 euros pour un cardiologue
Depuis le 1er janvier 2017, le CAS a été remplacé par l’Option Pratique Tarifaire Maîtrisée (OPTAM) . C’est un contrat signé entre l’Assurance maladie et des médecins conventionnés exerçant (ou ayant la possibilité d’exercer) en S2. Selon l’assurance maladie, L’OPTAM a pour but d’améliorer l’accès aux soins des patients en limitant les dépassements d’honoraires et en leur permettant d’être mieux remboursés par leur caisse de Sécurité sociale et leur complémentaire santé.
Les médecins exerçant une spécialité chirurgicale ou de chirurgie obstétrique, qui ont réalisé au moins 50 actes de chirurgie ou d’obstétrique ont la possibilité d’adhérer à l’Option pratique tarifaire maîtrisée chirurgie et obstétrique (OPTAM-CO).
L’OPTAM, reposant sur le volontariat, est conclue pour une durée de 1 an, renouvelable par tacite reconduction.
En souscrivant à l’OPTAM, les praticiens s’engagent à respecter un taux moyen de dépassement et un taux moyen d’activité facturée sans dépassement. C’est l’Assurance Maladie qui calcule ces deux indicateurs en se basant sur les trois années précédant la signature du contrat. Avec l’OPTAM, le médecin bénéficie d’une prime qui en théorie valorise son activité réalisée à tarif opposable. Son montant permet de valoriser la progression vers les objectifs de maîtrise des dépassements. Plus le médecin s’approche de ses taux d’engagements, plus sa prime augmente. Cette prime se substitue à la prise en charge des cotisations sociales de l’ancien Contrat d’Accès aux Soins (CAS) et est d’un montant équivalent, (mais devient imposable, contrairement à la prise en charge des cotisations sociales).
Dans les contrats santé responsables, les compléments d’honoraires des médecins adhérents à l’OPTAM sont mieux remboursés aux patients que ceux des médecins non-adhérents à l’OPTAM. Cette différence doit être au moins égale à 20 % par rapport au tarif de base de la prestation. Cela crée une différence de prise en charge des frais de santé pour le patient selon le praticien choisi.
L’OPTAM permet aussi théoriquement au médecin, selon l’assurance maladie, d’être payé plus rapidement : en juin de l’année N+1 et non plus en avril de l’année N+2. Les médecins signataires s’engagent sur une durée d’un an renouvelable et sont libres d’entrer et de sortir de ce contrat à tout moment.
Enfin, pour les médecins d’une même spécialité exerçant en regroupement et ayant une pratique tarifaire commune, les engagements sont fixés au niveau du groupe (sur la base de la moyenne des taux constatés chez l’ensemble sur les 3 années précédentes). L’engagement et le suivi de l’option restent individuels.
Situation actuelle (octobre 2020)
L’article L.162-14-1 du code de la sécurité sociale définit les cas autorisés de dépassements des tarifs conventionnels.
L’article 39 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2008 prévoit une information écrite préalable, dans la salle d’attente des praticiens concernés, précisant le tarif des actes effectués ainsi que la nature et le montant du dépassement facturé ; il est officialisé par le décret du 10 février 2009 (décret n° 2009-152) relatif à l’information sur les tarifs pratiqués par les professionnels de santé impose aux médecins de S2, d’afficher la mention suivante : « votre médecin détermine librement ses honoraires. Ils peuvent donc être supérieurs au tarif du remboursement par l’Assurance Maladie. Si votre médecin vous propose de réaliser certains actes qui ne sont pas remboursés par l’Assurance Maladie, il doit obligatoirement vous en informer. Dans tous les cas, il doit fixer ses honoraires avec tact et mesure. Si vous bénéficiez de la couverture maladie universelle complémentaire, votre médecin doit appliquer le tarif de remboursement de l’Assurance Maladie ».
Des contrôles peuvent être effectués par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Les médecins doivent aussi afficher les tarifs de toutes les consultations de référence, coordonnées, complexes et très complexes et des visites à domicile avec les majorations pratiquées (nuit, dimanche…). Pour les médecins en S2, devront être indiqués les critères de détermination de leurs honoraires, lorsqu’ils affichent des fourchettes d’honoraires.
Les patients ont également droit à une information explicitée par le médecin portant sur les conditions de remboursement par les régimes d’assurance maladie obligatoire.
Il est donc fait obligation aux professionnels de santé d’informer les patients quand les honoraires incluant un complément sont supérieurs à 70 euros ou si le professionnel prescrit un acte à réaliser lors d’une consultation ultérieure.
Les médecins de S1 peuvent ponctuellement effectuer des compléments d’honoraires en cas de circonstances exceptionnelles de temps ou de lieu dues à une exigence particulière du patient non liée à un motif médical (DE) ou pour non-respect du parcours de soins (DA) ; les mêmes règles du tact et mesure s’appliquent dans ce cas.
Parallèlement à l’obligation qui est faite aux praticiens d‘afficher leurs tarifs, l’assurance maladie à mis en place un dispositif d’information sur le secteur conventionnel et les tarifs des professionnels de santé accessible sur la plateforme AMELI .
Plusieurs mesures sont venues augmenter les obligations de transparence tarifaire des professionnels de santé à l’égard de leurs patients ; par ex l’article 57 de la loi HPST n°2009-879 du 21 Juillet 2009 impose aux professionnels de santé libéraux qui utilisent des dispositifs médicaux, d’informer par écrit les patients de leur traçabilité et de leur prix d’achat.
Concernant les patients bénéficiant de la CMU et / ou de l’ACS ;
Les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l’Aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS) ne doivent pas se voir appliquer des compléments d’honoraires. La participation forfaitaire (1 euro) reste néanmoins due à la sécurité sociale.
Le secteur 3 ;
Les praticiens exerçant en secteur 3 sont dits « déconventionnés » ; ils exercent en dehors de la convention, leurs patients étant remboursés selon un tarif d’autorité fixé il y a plusieurs années (0,61 € pour une consultation de médecine générale, 1,22 € pour une consultation chez un spécialiste). Le remboursement de la Sécurité Sociale s’élève à 70% de ce tarif, moins 1€ éventuel de participation forfaitaire.
Les patients sont par ailleurs remboursés normalement pour les médicaments et les examens effectués sur prescription du médecin ayant choisi le S3. Les mutuelles ne remboursent habituellement pas les consultations ou actes effectués par les médecins en secteur 3 en dehors de rares contrats particuliers le spécifiant.
Tout médecin est libre de se déconventionner en envoyant une lettre simple au directeur de sa CPAM stipulant sa volonté d’exercer hors convention.
Il est théoriquement possible de réintégrer la convention et de récupérer son secteur d’installation mais il est conseillé au préalable d’obtenir l’accord écrit et officiel du directeur de la caisse.
Sanctions prévues pour les compléments d’honoraires non autorisés
Le droit aux « compléments » d’honoraires est théoriquement encadré, sur le fond par le respect du tact et de la mesure et sur la forme, par le devoir d’information du praticien vis-à-vis du patient. Le respect du tact et de la mesure est confirmé par différents textes réglementaires (article 53 du code de déontologie médicale, codifié à l’article R 4127-53 du CSP) mais il n’existe pas de définition exacte de cette notion. Le juge doit donc apprécier les honoraires des praticiens à partir de 5 critères prévus à l’article L162-1-14 du CSS : notoriété du professionnel concerné, situation du patient, technicité de l’acte, service rendu, tarif moyen des autres praticiens pratiquant une activité comparable dans le même département. Un décret du 1er Janvier 2009, définit l’appréciation du tact et de la mesure au travers de ces 5 critères issus de la jurisprudence.
Le décret n°2020-1215 du 2 octobre 2020 expose la procédure applicable au refus de soins discriminatoires et aux dépassements d’honoraires abusifs ou illégaux. En cas de dépassements d’honoraires « abusifs », le professionnel de santé est passible d’une amende au moins égale à deux fois le montant des dépassements facturés. En cas de récidive, dans un délai de 3 ans, « les professionnels de santé peuvent encourir de nouvelles sanctions ; le retrait du droit à dépassement pour une durée maximum de trois ans, la suspension de la participation au financement des cotisations sociales pour une durée maximum de trois ans.
Précisions complémentaires
Selon le rapport de la DRESS en 2019 la France est le pays de l’OCDE où le reste à charge est le plus faible, les ménages règlent seulement 6,9% de la facture totale (contre 9,2% en 2009). Le chiffre monte à 9% en élargissant l’éventail des prestations (soins hospitaliers, arrêts de travail, analyses médicales…). Aucun autre pays parmi ceux étudiés ne fait mieux. 3 102 euros : c’est le montant moyen dépensé par chaque Français en 2019 pour les soins, les biens médicaux et les médicaments. Une large partie de ces dépenses est, bien sûr, prise en charge par la Sécurité sociale et les mutuelles.
Il existe par ailleurs un observatoire citoyen des restes à charge en santé qui réunit le CISS, 60 millions de consommateur et …santé clair…
Historique du tarif des consultations ;
Le tarif d’une consultation de médecin généraliste était de 55 francs en 1982, soit 19 euros après conversion en euros et prise en compte de l’inflation.
Le tarif de cette même consultation était de 23 euros en 2012, soit une augmentation de 20% en 30 ans, alors que le tarif du SMIC horaire augmentait de 50% sur la même période et que par ailleurs les tarifs des complémentaires santé ont augmenté de 50% depuis l’an 2000 ….
Dr Philippe Pizzuti
VP UFMLS