Par le Dr Isabelle Le Coarer Luck
Monsieur le Premier Ministre,
La réforme du système de santé que vous avez annoncée il y a quelques jours devrait en premier lieu affirmer l’intention de renforcer, en ville comme à l’hôpital, le sens de l’humanité dans le soin ainsi que la déontologie et l’éthique du soignant, garante de l’efficience et de la qualité de sa mission.
Cette réforme privilégiera-t-elle du temps pour les soignants pour expliquer, apaiser, accompagner ? Dans cette médecine 2.0, le colloque singulier qui fait la richesse et l’efficience du traitement sera-t-il préservé ? L’examen clinique ne risquera-t-il pas d’être complètement relégué devant la technique connectée ? La parole, qui sait panser les plaies du cœur, aura-t-elle un prix ? Le temps d’accompagnement du patient dans son parcours de soin sera-t-il valorisé ? L’évaluation comptable ne primera-t-elle plus sur les besoins des patients et la sérénité des soignants ? L’exercice de généraliste en particulier ne devra-t-il plus être vécu comme dévalorisé, de moins en moins serein et de plus en plus démotivant pour les plus jeunes ?
Forte de 32 ans d’expérience d’un exercice de généraliste de terrain vécu comme de plus en plus dévalorisé, de moins en moins serein et de plus en plus démotivant pour les plus jeunes, je me permets de vous avancer quelques réflexions sur vos volets de réforme portant sur la pertinence des soins, le virage numérique et l’organisation territoriale des soins.
Vous parlez d’un chantier de la qualité et de la pertinence des soins, celui-ci n’est pas à construire car la qualité de la médecine française est indéniable. Il faut juste sécuriser ce chantier et stopper les pressions administratives et comptables qui commencent à dégrader son exercice et à épuiser les soignants par souci de rentabilité et d’économies sur les budgets de personnel. Il faut commencer par améliorer leurs conditions de travail et celle de l’accueil des patients.
Il vaut valoriser le temps de soin et lui redonner son sens. Prendre soin prend du temps. Etre bien organisé fait gagner du temps. Et le temps bien géré doit faire gagner de l’argent, aussi bien à la ville qu’à l’hôpital.
La pertinence des soins a été battue en brèche dans les médias et les études d’économistes de santé loin de la réalité du métier de soignant. Ce dernier a un attachement indéfectible à choisir le soin le plus pertinent pour son patient et le mieux adapté au temps « t » de la consultation. Chaque choix résulte d’un équilibre de funambule entre l’analyse des données personnelles du patient, l’avancée des données scientifiques, l’explication due au patient, l’obligation de moyens et l’application de la plus stricte économie. Cet équilibre singulier, non formatable, engage la compétence et la responsabilité du soignant : le patient ne délivre pas tout de lui d’emblée, ni physiquement, ni psychiquement, son état fluctue sans toujours se formater à ce que la science a appris, la technique évolue et les avancées scientifiques changent, le dossier médical n’est pas organisé entre les divers intervenants et le réassembler demande de la patience. Cet exercice d’équilibriste du médecin est au cœur de la pertinence du soin, il exige compétence et formation continue, disponibilité, humanité et sérénité.
Votre réforme sur cette qualité et pertinence doit passer par une valorisation de tous ces indices et une organisation territoriale concertée et partagée. Une piste est peut-être d’adjoindre à chaque médecin un coordinateur de soins qui aura pour mission d’organiser le parcours du patient, élaborer un dossier sécurisé, faciliter les relations entre les autres intervenants et l’assureur de santé. Cela s’appelle à l’hôpital un cadre de santé et en ville, une secrétaire médicale. Savez-vous que les cadres de santé sont débordées et manquent de moyens dans les services hospitaliers, et que les secrétaires sont inexistantes dans un trop grand nombre de cabinets libéraux français, contrairement aux autres pays d’Europe qui valorisent l’acte médical de base au double voire triple qu’en France ?
Il existe de nombreuses pistes pour embaucher sans trop de coût, ces précieux auxiliaires en nombre suffisant au côté des médecins et ainsi participer au volet de la pertinence des soins que vous prônez. Adjoindre également des cadres informatiques médicaux dans chaque territoire de soins permettrait de faciliter le partage des données numériques, avec la nécessaire éthique et l’absence de lien d’intérêt commercial. L’embauche de personnes qui pointent à Pôle emploi sans trouver le job valorisant pour lequel un médecin pourrait les former, l’orientation des personnes en situation de handicap qui pourraient faire ce travail administratif sans s’user davantage dans des cabinets médicaux légalement aux normes, le recyclage des déléguées de l’assurance maladie ou de l’industrie pharmaceutique, l’augmentation du tarif de la consultation libérale pour la part d’administratif qu’elle comporte…
L’article 1 de la loi de modernisation de la santé indique que l’état est responsable de la politique de santé, donnez donc les moyens à chaque territoire de valoriser ses soignants sans les épuiser, sans les dénigrer. Accordez-leur du temps humain dans leur mission, de l’aide dans les tâches administratives annexes, de la reconnaissance financière et médiatique, pour le plus grand bénéfice de la population sur son bien-être physique, psychique et sociétal, pour un accès aux soins pertinent aussi bien en hôpital qu’en cabinet, pour favoriser l’orientation professionnelle de nos jeunes et pour la réduire le chômage dans un territoire. Car le soin est une richesse et non une dépense, et ceux qui la produisent servent toute la société.
Juste un mot Isabelle.
Merci.
Merci de décrire une réalité dans laquelle je me reconnais pleinement !!
Merci de parler « sans haine » et sans amertume, avec la distance suffisante , le regard juste.
On perçoit dans ton texte l’envie de faire avancer pas seulement notre profession mais toute notre société.
Heureusement que des personnes comme toi sont là !
Isabelle Merci !!