Voici quelques réflexions qui me sont venues quant à l’organisation des urgences hospitalières.
Celles-ci commencent à se réguler, par faute de personnel. Cette limitation de l’accès tout venant à l’hôpital semble choquer mais en définitive, est-il vraiment normal de laisser n’importe qui accéder aux urgences ?
Au début de mon installation comme généraliste il y a 35 ans, le patient était envoyé aux urgences par son médecin avec appel préalable et courrier circonstancié (ce que j’ai toujours continué à faire même si c’est chronophage, si le temps passé au téléphone est non rémunéré et si parfois, on se fait un peu malmener au téléphone par des soignants hospitaliers surmenés). Le médecin pouvait aussi faire hospitaliser directement dans un service son patient qui le nécessitait, sans passer par les urgences (il n’y avait pas encore de tarification à l’activité dans les hôpitaux).
Maintenant, même si le médecin adresseur a la chance (de plus en plus rare) de parler avant avec le spécialiste du service (correspondant habituel ou de garde), il faut quand-même que le patient à hospitaliser passe par les urgences (faute de lits) et y attende une place, souvent trop longtemps…
De plus en plus, les gens viennent aux urgences sans motif nécessitant vraiment un plateau technique car ils ne déboursent rien (pas de cadrage des patients par l’assurance maladie, certains se croient tous les droits sans devoirs). Beaucoup sont démunis devant une inquiétude sans réelle urgence, mais ils n’ont plus de médecin traitant (pénurie de généralistes et de remplaçants, agendas surbookés, acte de base dévalorisé, PDSA non attractive et devenue non obligatoire). Souvent aussi, ils ne veulent pas attendre le RV programmé chez le généraliste, pas forcément lointain quoi qu’on en dise, car la plupart des généralistes ont des RV d’urgence, certes qui trouvent vite preneur (du moins sur le papier car il y a pléthore de lapins, non pénalisés pour le poseur de lapin…) Certains patients n’acceptent pas de ne pas choisir l’heure de RV qui leur convient ou de devoir attendre ne serait-ce que le lendemain pour un symptôme qui dure parfois depuis des semaines…
En résumé, il faut augmenter en nombre le personnel soignant en ville comme à l’hôpital, rendre attractif et valoriser leurs revenus, supprimer la T2A, augmenter le nombre de lits, mettre des numéros de téléphone dédiés entre médecins hospitaliers et de ville, éduquer et cadrer les assurés sociaux (l’assurance maladie est la seule assurance qui ne fait pas de contrat avec son assuré, et elle accable les praticiens par des contrôles et amendes plutôt que sanctionner les abus de certains de ses assurés), laisser un reste à charge au patient qui n’est pas adressé ou qui pose un lapin.
Bref, il faudra déconstruire presque tout ce qu’ont décidé les précédentes politiques de santé ! Réguler l’accès aux urgences permettrait de revenir à l’essence même du métier d’urgentiste et d’assurer la qualité des soins idéale pour les patients réellement urgents avec une meilleure sérénité des soignants. Il faudrait d’une part, ne pas opposer libéraux et hospitaliers qui font un travail complémentaire et leur permettre de mieux communiquer, et d’autre part ne pas rajouter de contraintes démotivantes pour les généralistes libéraux qui ne sont plus assez nombreux et s’épuisent : il faut que les politiques leur redonnent les moyens humains et financiers pour assurer en ville avec sérénité cette prise en charge des soins non programmés ne nécessitant pas de plateau technique. Il faut augmenter le numerus clausus mais aussi restaurer une attractivité suffisante pour que 5 ans après le doctorat, une majorité des diplômés choisissent de s’installer et non pas seulement 30% d’entre eux, d’autant plus que le nombre de jeunes diplômés est déjà trop faible…
Dr Isabelle Le Coarer Luck