Parfois je me demande si les Français savent que les tarifs de la plus grande part des interventions chirurgicales n’ont pas été revalorisés depuis… 2005 !!! Et pourtant, depuis 2010, une commission spéciale se penche sur la « juste » valeur des actes !!!! Sans aucun résultat concret à ce jour. Cela fait 14 ans qu’on paie ces gens pour rien et qu’on ne nous paie presque rien, nous qui travaillons avec dévouement au service de nos patients. Cela fait 14 ans que les membres de cette commission ne produisent aucun résultat, cela fait 14 ans que nous touchons des honoraires bloqués sans aucune réévaluation, ne serait-ce qu’à hauteur de l’inflation.
En réalité il n’y a personne qui défend les chirurgiens secteur 1. Nous ne sommes plus très nombreux et donc pas d’un poids énorme dans le monde syndical et des négociations, mais c’est grâce à nous, rares chirurgiens de secteur 1, que vous pouvez trouver (pas facilement, je l’avoue) à être opérés sans avoir à débourser de « compléments d’honoraires ». Nous sommes devenus des chirurgiens de seconde zone, travaillant dans des petites cliniques de proximité auxquelles l’HAS et l’ARS enlèvent progressivement de plus en plus les « autorisations » comme celle d’opérer des cancers digestifs, urologiques, mammaires etc. Cela fait donc presque 20 ans que les chirurgiens secteur 1 n’ont plus eu aucune revalorisation. Par contre, comme tous les chirurgiens, ils ont vu leurs frais exploser. Notamment leur assurance de risque professionnel qui augmente de plusieurs points chaque année (et qui, pour la chirurgie digestive, coûte plus de 15000 € par an). Le loyer de leurs cabinets au sein de leur clinique, le salaire de leur secrétaire, leur abonnement internet, le prix des congrès et j’en passe ont également bondi ! Doctolib par exemple est passé de 79€ à 119€ en 4 ans !!! Et oui, les médecins engraissent Doctolib, cette licorne devenue incontournable pour beaucoup et qui permet même l’accès à des professionnels non reconnus en France !
En ce qui me concerne, mon activité de chirurgie en secteur 1 est actuellement menacée par ces tarifs tellement bas qu’ils ne permettent plus d’exercer dans des conditions de sérénité. Je ne suis même pas sûr de pouvoir garder une secrétaire comme salariée, ni d’être en capacité de payer mes charges. Je n’ai plus pris de vacances depuis 3 ans, parce que ça me fait perdre de l’argent et les jours fériés impactent mon chiffre d’affaires au point que je les vis avec la peur au ventre. J’ai fait mon cursus d’études en Belgique et le secteur 2 m’est refusé en France parce que mes diplômes en flamand ne contiennent pas le mot « chef de clinique » en français ! Le secteur 3 n’est pas compatible avec l’exercice en clinique, ni avec le remboursement des actes aux patients tant que la CNAM n’abolira pas le tarif d’autorité qui pénalise de façon inéquitable pour le cotisant le choix d’un médecin secteur 3. Je suis arrivé en France en 2004. Depuis, mon pouvoir d’achat s’est réduit d’année en année. Et pourtant, je travaille bien plus que les sacro-saintes 35 heures hebdomadaires ! Au jour d’aujourd’hui, je ne suis plus en capacité de payer des études à mes enfants. Leurs cadeaux de Noël ont été acheté sur LeBonCoin.fr. Je suis à 2 doigts du dépôt de bilan.
Nantis ??? Je pense partir faire de l’humanitaire. Je vivrais certainement mieux. Merci à tous les ministres de la Santé, de Douste-Blazy à Valletoux en passant par Marisol Touraine. Merci aussi aux mutuelles qui préfèrent rembourser la télé dans la chambre et des consultations de naturopathes et autres charlatans. C’est grâce à tout ça, chers Français, que vous ne trouvez plus de médecins, plus de spécialistes, plus de lits d’hospitalisation, plus de médicaments dans les pharmacies. Mais Valletoux va vous trouver une solution : des médecins étrangers qui seront importés comme on importe de la viande d’Argentine, de Cuba etc. Et puis vous irez voir des infirmières en lieu et place de médecins, des kinésiologues au lieu de kinésithérapeutes, etc. Vous avez besoin d’une voiture et on vous donne un vélo. Vous avez besoin d’un vélo, on vous donnera une paire de baskets… Vive la France, vive la république ! Chantez avec moi les vers sanglants de la Marseillaise ! Dansez, buvez, fumez, et continuez à regarder vos émissions de téléréalité…Continuez à nous insulter, nous agresser, nous menacer au rythme donné par le gouvernement aux grands médias démagos.
Ou alors, autre solution, prenez votre santé en main et défendez les médecins qui vont jusqu’à risquer leur vie pour vous soigner (Covid remember ?) Chers patients et futurs patients, entendez-nous, descendez dans la rue avec nous, exigez que le gouvernement s’occupe de votre santé ! Soutenez nos revendications qui sont loin d’être excessives, fantaisistes, excentriques, extravagantes… Nous ne sommes pas des divas capricieuses et fainéantes qui ne pensons qu’au fric, comme on l’entend dans la bouche de certains ! Et non, nos études ne sont pas non plus payées par l’État, n’en déplaise à ceux qui veulent nous rendre corvéables à merci, et redevables d’avoir sacrifié nos années de jeunesse à l’hôpital durant l’internat !
Nous demandons juste une valorisation de nos honoraires, à la hauteur de nos années d’études, de nos compétences, de notre responsabilité, qui démontre que votre santé mérite bien autant que dans les autres pays de l’Europe et qui nous permettent de réaliser notre mission sereinement et consciencieusement. Donc 50€ minimum pour une consultation libérale. Charge à l’État et à la CNAM de vous rembourser correctement ! Nous exigeons plus de 28,80€ pour vous opérer d’un cancer de la peau, plus de 200€ pour une appendicite aiguë tard le soir ou tôt le dimanche matin. Surtout que sur ces 200€ il ne restera, après déduction des charges, qu’environ 60€ pour le chirurgien ! En France, en 2024 ! L’année olympique ! Les politiques doivent comprendre que le tarif de la santé a été dévalué depuis trop longtemps, que leurs décisions comptables ont mis à mal tout le système de santé. Leur rôle de décideurs est de se mettre, comme nous, au meilleur service des citoyens.
Le syndicat UFMLS soutient nos revendications et demande pour tous les médecins et chirurgiens libéraux la réouverture du secteur 2 dont l’accès a été bloqué en 1990, afin de rendre nos exercices de nouveau attractifs sous peine de continuer à voir se déliter l’accès au fleuron de la médecine et de la chirurgie françaises, pour la plus grande souffrance de ceux qui la pratiquent et pour le grand risque de perte de chance des malades. Bonne nuit à toutes et tous !
Dr Peter Joos, chirurgien secteur 1