Communiqué de presse du 20 octobre 2016 : Les médecins ne sont pas des pions que l’on déplace
Les députés ont adopté en commission des Affaires Sociales, le 19 octobre 2016, dans le cadre du Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale 2017, l’amendement 419 [1] de Mme Le Houerou (PS), réservant le droit au conventionnement avec l’Assurance Maladie aux seuls médecins libéraux acceptant de s’installer dans les zones jugées sous-denses en offre médicale.
C’est par un vote à main levée par 14 voix contre 5 sur seulement 25 députés présents sur les quelques 70 qui composent la Commission des Affaires Sociales que cet amendement a été adopté et sera donc soumis aux débats parlementaires à l’Assemblée Nationale. Contrairement à la Loi Santé, cette volonté de réduire la liberté d’installation des médecins divise à droite comme à gauche puisque des députés LR et UDI sont favorables à cet amendement tandis que des députés PS et apparentés s’y opposent.
L’UFML n’a eu de cesse depuis 3 ans d’alerter les syndicats d’étudiants et de jeunes médecins sur ces atteintes progressives à la liberté d’installation puisque cet amendement s’inscrit en réalité dans une dynamique déjà enclenchée par la Loi Santé dans son article 1 en faisant de la répartition homogène de l’offre de soins sur le territoire une obligation, puis renforcée dans la nouvelle Convention par la contrainte des médecins à contractualiser avec les ARS pour pouvoir s’installer.
Ce choix démontre une fois de plus la totale méconnaissance des sujets de santé par nos élus, qui, dans une analyse toujours simpliste de la situation, sous-estiment l’ampleur de la crise sanitaire déjà palpable dans tous nos territoires et occultent les causes réelles de la désertification médicale, à savoir une politique de santé « court-termiste » et désadaptée depuis 30 ans.
De ce fait, ils s’obstinent à traiter les conséquences mais jamais les causes du mal, et proposent une solution qui est un contre-sens absolu, puisque de nature à aggraver dramatiquement le problème posé en favorisant une médecine à 2 vitesses par un désengagement de l’assurance-maladie du remboursement des soins de ville que les complémentaires santé auront tôt fait de vouloir solvabiliser et en ajoutant une énième contrainte à l’installation sur des jeunes médecins qui ne pourra que les détourner de leur vocation de soignant ou les conduire vers un exercice salarié voire un départ à l’étranger.
L’UFML relève plusieurs erreurs dans l’analyse de la situation qui les conduit à ce choix.
1ère erreur : ils font le constat de l’échec des mesures d’incitations financières mises en œuvre jusqu’à présent pour attirer les médecins dans les zones considérées comme des déserts médicaux.
L’UFML rappelle qu’à ce jour, la seule véritable incitation financière serait de ramener les honoraires des médecins français dans la moyenne européenne qui se situe selon nos estimations autour de 50 € (contre 23 € la consultation chez le généraliste en France actuellement), et que les incitations de type forfait d’aide à l’installation, maisons de santé ne survivant que par le recours à des subventions, rémunérations sur objectifs de santé publique biaisant la relation médecin-malade, contrats PTMG etc, ne sont absolument pas à la hauteur ni des besoins ni des enjeux.
2ème erreur : les élus en question légitiment ce choix en se basant sur le fait que les études et les revenus des médecins sont payés par la collectivité, ce qui de facto, les rendrait redevables de se répartir harmonieusement sur tout le territoire.
L’UFML a confronté le coût global des études d’un étudiant en médecine aux économies faites par l’Etat en payant les externes et les internes en médecine à très bas prix pour un nombre d’heures de travail très important dans des hôpitaux qui ont du mal à recruter des médecins qualifiés, et a calculé les économies réalisées par la Sécurité Sociale en bloquant les tarifs opposables de nombreux actes depuis plusieurs décennies.
Il en ressort finalement que les médecins ont très largement remboursé le coût de leurs études avant même de s’installer et qu’ils participent ensuite tout au long de leur exercice à ne pas aggraver les déficits puisque les coûts de leurs actes sont plus de 2 fois inférieurs à leur valeur.
3ème erreur : leur raisonnement repose sur l’existence de zones surdenses en offre médicale.
Cette notion de surdensité apparaît extrêmement subjective et laisse craindre une vision très comptable de la détermination des dites zones, puisque ce sont les ARS qui s’en chargeront, en se basant sur des indicateurs qui ne seront pertinents que par l’affichage politique qu’ils permettront. D’ailleurs, une étude de l’INSEE réalisée en 2010 atteste de ce double fantasme de l’inégale répartition des médecins libéraux et de la zone sur-dotée, puisque, alors qu’il n’y avait aucune régulation, elle démontre bien que 100 % de la population a accès à un médecin généraliste dans les 15 minutes, et seuls 0,2% des Français se trouvent dans une zone sur-dotée. [2]
L’UFML rappelle qu’à l’heure actuelle la désertification touche tous les territoires et qu’à sa connaissance, les zones surdenses relèvent du registre de l’anecdotique au regard de l’urgence d’investir dans les soins de ville: seuls 9% des étudiants en médecine s’installent en libéral dans les années suivant leurs études, 25 % des docteurs en médecine se destinent à d’autres fonctions que le soin, 40 à 50 % des médecins sont en burnout, avec un taux de suicide 2,5 fois supérieur à celui la population générale, deux tiers des médecins de Toulouse, ville pourtant attractive sur le plan économique et climatique, sont à moins de 10 ans de la retraite, effondrement de 21 % du nombre de médecins généralistes dans Paris intra-muros entre 2007 et 2014, population médicale vieillissante.
Cet effondrement des installations est le fruit d’une politique de santé qui n’a pas su anticiper les besoins liés au vieillissement de la population et aux progrès médicaux, et qui s’est appliquée à rendre l’exercice libéral de moins en moins attractif.
Cette mesure votée sans concertation avec les principaux concernés dans un déni de démocratie une nouvelle fois évident, constituera un coup fatal porté à notre système de santé, qui à force de décisions politiques et administratives ineptes, s’est d’ailleurs effondré pour passer de la 1ere à la 24e place mondiale. [3]
L’hôpital public qui lui-même est très grande difficulté avec une souffrance majeure des soignants et une pénurie de personnel soignant et de temps médical, ne pourra pas compenser ce coup porté à la médecine libérale et s’en trouvera d’autant plus déstabilisé.
L’UFML dénonce l’aveuglement dangereux de nos décideurs et appelle à une journée d’action de tous les soignants de France le 24 novembre, car la médecine ne doit plus être organisée et dirigée par la seule sphère administrative : les soignants aux cotés des patients doivent avoir les mêmes droits de gouvernance d’un système sanitaire qui appartient à tous et ne doit pas être dirigé par d’autres intérêts que ceux du soin.
Le Bureau de l’UFML
[1] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/4072/CION-SOC/AS419.asp
[2] http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1418
[3] http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(16)31467-2/fulltext
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