Dr Isabelle Le Coarer-Luck
Les vagues de suicides de professionnels de santé sont le témoin de l’énorme catastrophe sanitaire engendrée par les 30 dernières années de gouvernance irresponsable du système de santé.
Celui-ci n’est plus au service des citoyens et détruit le tissu sanitaire au sens figuré comme au sens propre : outre les suicides, démissions, prises de retraite anticipée, changements d’orientation, départs à l’étranger, les soignants souffrent de ne plus pouvoir soigner, de n’avoir plus ni le temps ni les ressources ni la dignité d’entourer correctement les patients. À force de s’investir dans une mission ayant perdu sa noblesse et appelée à la médiocrité du fait de manque de moyens, et sans aucune reconnaissance de la part des politiciens pourtant responsables de cette incurie, leur dévouement s’épuise, ils craquent, désertent ou disjonctent. Partout, ils déplorent les fermetures de lits, le manque de personnel, les heures supplémentaires impayées, le détournement des jeunes médecins de la médecine générale à tarifs plancher encadrés, les pressions et procès de l’assurance maladie sur certains pour délits statistiques, la complexification administrative, les injonctions à des normes d’exercice ou à des procédures de soin pas toujours nécessaires, l’obligation de respect d’un ONDAM irréaliste au vu du vieillissement de la population.
C’est ainsi que se sont créés les déserts médicaux qui pourrissent la vie de tous, soignants comme citoyens et que constatent les politiques en mal d’idées efficaces pour réduire cette catastrophe, tout occupés qu’ils sont à vouloir toujours plus contraindre et toujours plus contrôler l’échelon des soignants. Pourtant, ils pourraient mieux utiliser à des fins citoyennes les enveloppes financières récoltées sur les cotisations et impôts qui ne cessent de monter, et dont certains tirent de vrais bénéfices qu’ils réorientent sans honte à des sponsoring de sport ou à de la publicité.
Par ailleurs, juste un peu de reconnaissance pour la compétence et l’investissement hors norme des professionnels du soin serait une clef pour sortir de cet engrenage sanitaire qui a mis la France en grand danger sanitaire et sociétal. La même clef de la revalorisation du travail pourrait d’ailleurs servir à d’autres professionnels (police et gendarmerie, gardiens de prison, pompiers, enseignants, agriculteurs et éleveurs…) et relancer l’emploi. La coercition prônée par certains face à la pénurie de soignants va aggraver les problèmes en faisant fuir ceux qui hésitaient à s’engager et en démotivant (voire pis) ceux qui restent.
Cette clef doit aussi être celle d’une meilleure reconnaissance des initiatives de terrain, avec un accompagnement pratique et financier qui puisse servir l’accès aux soins de façon durable sur un territoire, sans effet d’aubaine, avec un guichet au service des professionnels porteurs de projets qui se retrouvent souvent isolés face à des collectivités inconscientes, démunies ou irréalistes, des décisionnaires coercitifs, des doc bashing irresponsables, des organismes professionnels impuissants, des lobbies financiers qui font autorité.
Les porteurs de projets qui ne sont pas en mal d’idées pragmatiques ont du mal à concilier la multiplicité des aides, des annonces et la poursuite de leur activité de soin. La loi autorise les innovations, les enveloppes financières sont là, de nouveaux modèles efficaces et économiques voient le jour grâce à la pugnacité sur le terrain de pionniers qui constatent les dégâts et cherchent les solutions innovantes propres à chaque territoire.
La main doit être laissée à ces professionnels dont le temps est compté devant la détresse des patients en recherche de soins. Ils pourraient être aidés par ce guichet qui se devrait d’être plus souple, plus réactif et plus généreux car le bénévolat des soignants est pour l’instant de mise pour faire évoluer les exercices, aussi bien au niveau organisationnel que juridique ou déontologique.
Favoriser l’insertion des jeunes tout comme retarder le départ des plus anciens est une nécessité pour enrayer le déclin de la démographie soignante. Il faut aussi encourager le partenariat ville-hôpital et la mixité de l’exercice libéral avec le salariat, au service de patients responsabilisés. La loi aussi doit simplifier en urgence les changements de statuts et de rémunérations sans contraintes démotivantes.
Les ARS peuvent être les premiers interlocuteurs de par la loi, mais leur efficience doit très vite se prouver en libérant l’énergie des territoires, et les freins ne doivent plus exister, l’accès aux soins est une urgence de santé publique, une priorité sous peine de l’aggravation de ces catastrophes en série qui surviennent aussi bien du côté des patients que des soignants.
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